Le discours de Stephen Harper, le 19 décembre 2005, ça vous rappelle quelque chose?

Le fédéralisme d'ouverture, une nouvelle entente avec les provinces, la main tendue au Québec...

Que tout cela semblait loin, hier, dans les brumes hivernales de la rivière des Outaouais, à Ottawa, où étaient réunis les premiers ministres de tout le pays!

Oubliez la reconnaissance de la nation, le règlement du déséquilibre fiscal, le siège à l'UNESCO. La bonne entente Québec-Ottawa et le renouveau du fédéralisme, comme le pays, sont balayés par une vague de froid.

 

Jean Charest et sa suite (avez-vous remarqué, en regardant les bulletins d'information, que le premier ministre débarque toujours à Ottawa avec une armée de conseillers alors que ses homologues des provinces se pointent seuls?) sont arrivés à Ottawa de fort mauvaise humeur et ils n'auront pas trouvé grand-chose pour retrouver le sourire au terme de la rencontre.

Avant même de parler du fond des différends, ce qui frappe, lorsqu'on parle aux entourages des premiers ministres Charest et Harper, c'est la méfiance et parfois même l'animosité entre les uns et les autres.

Cela dit, la rencontre aura donné quelques résultats positifs, comme la mobilité de la main-d'oeuvre (un dossier qui traîne depuis 1995!).

Puis, Québec a aussi eu gain de cause sur l'accélération du financement des travaux d'infrastructures et les programmes de formation de la main-d'oeuvre.

Ce n'est pas rien mais, avant de se réjouir, il faudra attendre de voir si les projets démarrent effectivement plus rapidement et si Ottawa met un frein à sa bureaucratie galopante, un désagrément dénoncé autant par les provinces que par les grandes villes.

Si le plaidoyer de Jean Charest et, la veille, celui du maire Gérald Tremblay n'ont pas convaincu le gouvernement fédéral de l'urgence d'investir dans les infrastructures, M. Harper peut toujours regarder du côté de Montréal, où une conduite d'eau datant de... 1891 a éclaté hier matin en plein centre-ville.

Pour le reste des pourparlers, Stephen Harper et Jean Charest se seront mis d'accord pour être en désaccord, comme on dit en anglais. En ce sens, la rencontre des premiers ministres aura permis de mesurer l'écart qui s'est creusé entre Québec et Ottawa depuis quelques mois, plus qu'elle n'aura contribué à un rapprochement.

Surtout sur la question de la péréquation, ce qui, à long terme, est certainement le point le plus important pour les années à venir, même après la crise économique.

Encore là, au-delà de la guerre de chiffres, c'est l'affrontement politique entre les deux capitales qui frappe le plus. Et qui promet d'autres accrochages entre les deux gouvernements.

Jean Charest a parlé de «bris d'engagement» sur la question du déséquilibre fiscal. Le mot est fort.

Le gouvernement Harper, de son côté, se montre perplexe devant la réaction de Québec. Il est vrai, comme l'a souligné le bureau de Stephen Harper, que le gouvernement Charest, par la voix de sa ministre des Finances, Monique Jérôme-Forger, avait jugé «raisonnables» les changements proposés l'automne dernier par Ottawa.

Vrai, aussi, que Jean Charest a minimisé les impacts sur les finances du Québec des changements à venir au régime de partage de la richesse entre les provinces, probablement pour ne pas se retrouver avec cette «patate chaude» dans les mains.

Autre point de discorde profond, que partagent cette fois les autres provinces: la ferme volonté de Stephen Harper d'inclure des baisses d'impôt dans son budget du 27 janvier. Malgré l'opposition d'une majorité de ses homologues, M. Harper n'en démord pas: la reprise passe par la diminution des impôts de la classe moyenne. Le chef conservateur est prêt à quitter le créneau traditionnel de la droite en intervenant directement dans l'économie, mais il n'abandonnera pas la philosophie des baisses d'impôt.

Les provinces croient, elles, qu'il est futile de promettre des baisses d'impôt à des gens qui perdent leur emploi.

Jalouses de leurs prérogatives fiscales, les provinces n'apprécient jamais qu'Ottawa leur dicte ou leur reproche leur politique budgétaire. On l'a vu en 2007 quand Jean Charest avait décidé de consacrer les transferts du déséquilibre fiscal d'Ottawa à des baisses d'impôt. Le gouvernement Harper n'avait pas apprécié, mais Jean Charest avait défendu bec et ongles sa décision et affirmé que Québec est libre de ses choix.

On pourrait donc dire que le gouvernement fédéral n'a pas de compte à rendre non plus aux provinces. L'argument ne tient pas la route, toutefois, puisque quand Ottawa se prive de revenu, cela en fait nécessairement moins à partager avec les provinces.

Ajoutez à cela la volonté du gouvernement fédéral, exprimée de nouveau hier par Stephen Harper, d'aller de l'avant avec une commission des valeurs mobilières pancanadienne, et vous comprendrez mieux l'irritation palpable de Jean Charest à la sortie de la rencontre fédérale-provinciale.

Et encore, il n'a pas été question, dans cette rencontre au sommet, de la réforme du Sénat ou du pouvoir fédéral de dépenser, deux autres pommes de discorde entre Québec et Ottawa.

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