On ne pourra pas dire que Michael Ignatieff n'a pas le sens de la formule, contrairement à son prédécesseur qui, lui, en manquait cruellement.

De passage à Montréal, mercredi, il a résumé ainsi son peu d'enthousiasme pour une nouvelle campagne électorale cet hiver: «Les Canadiens ont autant besoin d'élections que d'un trou dans la tête» ...

Voilà une déclaration qui a le mérite d'être claire. Michael Ignatieff ne veut pas d'élections.

On pourrait donc conclure qu'il privilégie la solution de la coalition puisqu'il affirme lui-même qu'elle n'est pas morte.

Pas morte, mais pas forte. En fait, Michael Ignatieff aurait pu ajouter qu'il a autant envie de cette coalition que d'un traitement de canal.

Michael Ignatieff n'est pas dans la même position que Stéphane Dion, il y asix semaines. Il n'a pas absolument besoin de cette coalition pour sauver sa peau. Et puis, autre nuance importance, Michael Ignatieff peut, lui, reconstruire son parti et espérer reprendre du terrain perdu aux mains du NPD en Ontario et même remonter la pente au Québec.

M. Ignatieff vient d'accéder à la tête du Parti libéral, avec la bénédiction unanime de son caucus et des militants libéraux, dans ce qui aura été, finalement, le «putsch» le plus délicat de l'histoire politique canadienne.

Il se retrouve dans la même situation où s'est retrouvée Pauline Marois, propulsée à la tête du Parti québécois en juin 2007 par des militants penauds et repentants. Pour un chef, cela donne les coudées plus franches.

Par ailleurs, l'arrivée de Michael Ignatieff a redonné un certain tonus aux libéraux, aux Communes et dans les sondages.

Pourquoi M. Ignatieff, dans son premier geste d'importance à la tête de son parti, diluerait-il cette autorité et ce capital politique tout neuf en s'alliant à une coalition bancale condamnée, à court terme, à mourir?

Autre petit «détail»: il est loin d'être certain que la gouverneure générale accepte de placer cette coalition au pouvoir avec, comme premier ministre, un chef libéral choisi en catastrophe par son caucus en décembre. Si le gouvernement Harper est défait, elle pourrait tout aussi bien décider de dissoudre le Parlement.

Michael Ignatieff n'était déjà pas chaud à l'idée de cette coalition, mais le fait de voir Gilles Duceppe souffler sur les braises de la souveraineté au cours des derniers jours l'a refroidi encore davantage.

Signe indéniable que M. Ignatieff ne sent pas l'urgence de réactiver la coalition, il n'avait, en date d'hier, toujours pas rencontré Gilles Duceppe. Les deux hommes ne se sont même pas parlé au téléphone, c'est dire l'empressement à tisser des liens.

Par conséquent, cela ne lui laisse guère d'autre choix que de laisser passer le budget du gouvernement Harper, soit en s'abstenant, soit en l'appuyant.

En toute logique, c'est ce qu'il devrait faire.

D'abord, il a raison sur les élections: ce serait totalement irresponsable d'entraîner le pays dans une nouvelle campagne électorale.

Et puis, d'un point de vue stratégique, cela obligerait les libéraux à priver les Canadiens de baisses d'impôt, ce qui ne fait pas, évidemment, le meilleur argument pour une campagne électorale.

Il y a un risque, c'est vrai, à s'asseoir sur ses mains et à permettre l'adoption du budget conservateur, mais là encore, Michael Ignatieff n'est pas du tout dans la même position que Stéphane Dion.

Premièrement, il vient de prendre la direction de son parti, il a droit à une période d'acclimatation et d'ajustement. En multipliant les passe-droits à Stephen Harper pendant près de deux ans, Stéphane Dion s'était lui-même attaché un boulet à la cheville. Iggy, comme on l'appelle à Ottawa, n'en est pas là. Il a, dans son barillet, quelques balles à blanc.

À très court terme (les prochains jours menant au vote sur le budget), le nouveau chef libéral n'a peut-être pas le choix de la stratégie à adopter, mais à moyen terme, il a le luxe du temps. Stéphane Dion était désespéré, il avait épuisé sa banque de temps. Pas Michael Ignatieff.

Les compteurs sont à zéro. Pour le pays, parce que l'on sort à peine d'élections générales, et pour les libéraux, qui repartent avec un nouveau leader.

M. Ignatieff a du temps pour reconstruire son parti, toujours en piteux état, en particulier au Québec. L'aile québécoise de son parti est désorganisée et le nouveau lieutenant, Denis Coderre, n'a été nommé qu'hier.

Michael Ignatieff a du temps pour ramasser de l'argent, pour recruter militants et candidats. Du temps pour s'entourer d'une véritable équipe solide et solidaire.

Du temps pour se faire voir partout au pays. Pour faire quelques discours importants et pour publier la deuxième partie de son autobiographie, en avril.

Du temps pour remobiliser une base électorale lasse et désabusée. Du temps pour tenir le congrès prévu en mai, à Vancouver.

Du temps pour repositionner le Parti libéral sur l'échiquier politique, pour réécrire un programme politique digne de ce nom. Avant de repartir en campagne électorale, les libéraux devraient d'abord savoir ce qu'ils veulent proposer aux électeurs.

Avant tout, le temps devient le plus précieux des alliés de Michael Ignatieff parce qu'il lui permet de préparer la prochaine bataille électorale, de «monter un dossier» contre le gouvernement conservateur.

Dans un an, Stephen Harper aura été au pouvoir quatre ans, soit l'équivalent d'un mandat régulier. Après quatre ans, un gouvernement a un bagage plus lourd à traîner.

Le temps, nécessairement, use le gouvernement, pas l'opposition officielle. C'est encore plus vrai pendant une récession. Quand les électeurs perdent leur emploi, quand les déficits s'accumulent, quand les usines ferment, la population ne blâme pas l'opposition, mais bien le gouvernement.

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