Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle pour Michael Ignatieff dans notre plus récent sondage CROP.La bonne, ça crève les yeux, c'est que les libéraux reprennent du terrain au Québec, que leur nouveau chef jouit d'une forte crédibilité et que le gouvernement conservateur est en chute libre, tant dans les intentions de votes que pour le taux de satisfaction.

La mauvaise nouvelle n'est pas si évidente. Elle est cachée derrière les chiffres positifs pour les libéraux.

Appelons cela le «syndrome du sablier», ce phénomène connu et documenté qui fait que les nouveaux chefs de parti profitent presque toujours d'une lune de miel et tirent leur parti vers le haut dans les mois suivant leur entrée en fonction, mais que ce capital s'effrite presque immanquablement avec le temps.

En d'autres termes, «Iggy» a réussi son entrée, mais le plus dur reste à faire. Il doit maintenant lutter contre la gravité qui, au fil des mois, ramène les appuis vers le bas, comme le sable dans un sablier.

La dernière fois que les libéraux ont changé de chef, lors de l'élection de Stéphane Dion, en décembre 2006, ils avaient pris neuf points dans les intentions de vote au Québec, passant de 20% à 29%. On connaît la suite et, surtout, la fin.

Même phénomène à Québec. André Boisclair, après son élection à la tête du Parti québécois, a fait bondir les appuis de son parti jusqu'à 53%. Le PQ avait fini à 28%, 15 mois plus tard aux élections.

L'arrivée de Pauline Marois a eu le même effet : de 23% à 33% d'avril à août 2007. Cas rare toutefois, la chef du PQ a maintenu ses appuis lors des élections.

Sachant qu'il risque de redescendre, Michael Ignatieff prend donc un pari risqué en appuyant le budget des conservateurs, qui ont perdu énormément de crédibilité et de popularité au Québec depuis les dernières élections.

Le lien de confiance entre Stephen Harper et les Québécois, si durement construit par le chef conservateur depuis 2004, a été fortement ébranlé.

Est-ce foutu? On le saura en suivant la tendance des prochains sondages mais, à l'heure actuelle, c'est retour à la case départ pour les bleus.

Bonne journée pour le Bloc

Paradoxalement, parmi les chefs politiques à Ottawa, c'est celui qui semble le plus fâché qui a gagné le plus dans ce nouvel épisode de politique extrême.

Gilles Duceppe vient en effet de trouver dans les événements des dernières heures des munitions pour repartir au front de la grande bataille des intérêts du Québec.

À supposer, comme on peut le croire, que nous nous retrouvions de nouveau en campagne électorale avant longtemps, le Bloc québécois n'aura pas trop de mal à se trouver des chevaux de bataille. Et des adversaires.

Les points de litige entre Québec et Ottawa sont tellement nombreux, le Bloc aura l'embarras du choix pour mener la lutte aux Communes. Péréquation, culture, commission des valeurs mobilières, aide au secteur manufacturier, environnement, accessibilité de l'assurance emploi, la liste est longue.

Par ailleurs, le décès, confirmé hier par la décision de Michael Ignatieff d'appuyer le budget Flaherty, de la coalition PLC-NPD appuyée par le Bloc est, finalement, une autre bonne nouvelle pour Gilles Duceppe.

D'abord parce qu'il y a dans le mouvement souverainiste, quoi qu'en dise Gilles Duceppe, un certain malaise à voir le Bloc jouer le rôle de caution du gouvernement fédéral, dirigé par un libéral qui plus est.

Et puis les bloquistes pourront accuser le nouveau chef libéral d'avoir débranché la coalition par pur intérêt partisan, les libéraux croyant maintenant pouvoir prendre le pouvoir sans s'allier aux autres partis de l'opposition.

Déjà hier, Gilles Duceppe accusait Michael Ignatieff d'avoir laissé tomber le Québec en donnant son appui à un budget imparfait sans tenter d'obtenir quoi que ce soit pour le Québec.

Il est vrai que Michael Ignatieff n'a pas vendu chèrement son appui ; il s'est contenté d'un amendement qui demande des rapports d'étape de la mise en application des mesures budgétaires. Lorsqu'on constate avec quelle rapidité les conservateurs ont accepté l'amendement proposé par les libéraux, on ne peut s'empêcher de penser que ceux-ci auraient pu tenter d'en soutirer davantage.

D'autant plus que M. Ignatieff a dressé une longue liste de récriminations contre ce budget, notamment le manque d'accessibilité de l'assurance emploi, des doutes sur le montant du déficit avancé par le ministre des Finances, les changements de calcul de la péréquation et le manque de mesures environnementales.

Chose certaine, les libéraux, même s'ils se portent mieux au Québec, sont toujours loin derrière le Bloc chez les électeurs francophones. Le climat à Ottawa et la guerre froide entre les gouvernements Harper et Charest ne feront que renforcer la base électorale du Bloc.

L'impression, pas tout à fait fausse, que le gouvernement Harper a tourné le dos au Québec pour courtiser l'Ontario joue aussi certainement en faveur du Bloc québécois.

Ce n'est pas un hasard si les libéraux fédéraux ont beaucoup insisté hier pour dire que leur nouveau chef avait rétabli les ponts avec Jean Charest et qu'il défendrait aux Communes les revendications du Québec.