Michael Ignatieff a-t-il ce qu'il faut?

La question est apparue aussi soudainement que brutalement cette semaine dans les rangs libéraux.

Après tout, M. Ignatieff est chef depuis seulement six semaines, le Parti libéral prend du mieux dans les sondages et la campagne de financement donne de meilleurs résultats.

Sur le terrain, les libéraux se réorganisent rapidement, au point où les conservateurs du Québec sentent le souffle chaud de leurs adversaires, notamment dans le recrutement de candidats pour les prochaines élections.

 

Alors, il est où, le problème?

Problème, c'est peut-être beaucoup dire pour le moment. Appelons cela des questions. Questions sur la force de son leadership, sur sa détermination, sur son pouvoir de persuasion et sur son autorité. Questions aussi, et ça, c'est plus grave, sur son réel attachement au Canada.

On a parlé abondamment de cet article élogieux du New York Times consacré à Michael Ignatieff et publié la fin de semaine dernière, notamment parce qu'on le présente comme un intellectuel de haut niveau et peut-être même comme le Barack Obama du Canada.

Ce qui est passé inaperçu, toutefois, c'est un passage de l'article relatant l'ennui de M. Ignatieff comme simple député aux Communes et sa mélancolie de ses années fastes à Londres et à Harvard.

«Ces dernières années, des amis de Michael Ignatieff aux États-Unis et en Angleterre ont reçu des courriels dans lesquels il se plaignait de voir sa vie être soudainement devenue si monotone et ordinaire, écrit le New York Times.

«Il a passé, continue l'article, les quatre dernières décennies à se faire un nom - en écrivant des essais à propos des guerres (...), en écrivant des livres et des pièces de théâtre. Il était populaire grâce à son émission de télévision en Angleterre (...) et il enseignait à Cambridge et Harvard. Maintenant, blaguait-il dans ces courriels, il était coincé dans une petite vie de fonctionnaire recrue (he was stuck in the pedestrian life of a freshman civil servant, dans le texte).»

En fait, ce passage n'est pas passé complètement inaperçu. Bien des libéraux l'ont vu et le font circuler par courriel depuis quelques jours, accompagné de commentaires peu élogieux sur l'attitude hautaine de leur nouveau chef à l'égard de son nouveau rôle de député.

Si les libéraux l'ont vu, il est certain que les conservateurs et les néo-démocrates l'ont vu aussi et ils ne se priveront pas de le ressortir au besoin, en campagne électorale, par exemple.

Voilà qui tombe bien mal pour M. Ignatieff puisque ces courriels mettent le doigt sur son plus gros problème: il est souvent perçu comme un intellectuel snob et déconnecté du vrai monde, ayant vécu toute sa vie adulte dans des tours d'ivoire universitaires. À l'étranger, en plus.

Déjà, le chef libéral se fait attaquer sans ménagement par le Bloc québécois et par le NPD, qui l'accusent d'avoir laissé tomber les Québécois et les Canadiens en tournant le dos à la coalition.

Les conservateurs, qui avaient besoin de l'appui de Michael Ignatieff pour survivre au test du budget, se sont tenus cois pour le moment, mais cela ne durera pas.

Ils entreront dans la danse des publicités négatives dès qu'ils en sentiront le besoin. Et comme les libéraux remontent dans les sondages, cela ne tardera pas.

Michael Ignatieff a l'avantage d'être relativement «neuf» dans le paysage politique canadien. Cela, toutefois, vient avec un gros inconvénient: celui d'être largement inconnu.

Si M. Ignatieff n'arrive pas, rapidement, à imprimer dans l'électorat une image positive de lui-même, soyez assurés que ses adversaires politiques se chargeront de répandre sa caricature.

Comme les conservateurs l'ont fait, avec une efficacité redoutable, à Stéphane Dion.

Chose certaine, le nouveau chef libéral a un urgent besoin d'un bon «faiseur d'image».

Autre source d'irritation: la tiédeur de Michael Ignatieff à dénoncer les frappes excessives d'Israël à Gaza aura aussi, ces dernières semaines, indisposé certains de ses députés.

Chez les libéraux, on craint surtout qu'une autre perception s'installe durablement dans l'électorat: celle d'un autre chef mou qui, comme Stéphane Dion, critique le gouvernement conservateur, mais le laisse néanmoins manoeuvrer à sa guise, avalant toutes les couleuvres.

Après avoir décidé de voter pour le budget, une décision qui a divisé le caucus, M. Ignatieff a ensuite permis à ses six députés de Terre-Neuve de voter contre, pour ensuite dire qu'il ne tolérerait pas d'autres dissidences.

L'épisode a fait germer, dans l'esprit des libéraux, quelques doutes sur la force de caractère de leur chef.

Au lieu d'imposer, dès le départ, son autorité à son caucus pour éviter les brèches (ce qu'un Jean Chrétien, un Stephen Harper ou un Gilles Duceppe auraient fait, sans aucun doute) «Iggy» a plutôt ouvert lui-même la porte à la dissidence.

Voici dans quel esprit il se préparait à affronter la fronde de ses députés terre-neuviens, lundi: «Nous allons avoir un bon repas, un verre de vin, et nous allons décider ce que nous allons faire ensuite.»

Un bon repas et un verre de vin? Les bonnes manières de Michael Ignatieff l'honorent.

Par contre, s'il veut survivre à la tête d'un parti qui garde ou exécute ses chefs selon leur capacité à le mener au pouvoir, il devra vite apprendre que ce genre d'insubordination se règle avec un coup de pied au cul, pas avec un verre de vin.