En voyant Mario Dumont quitter l'Assemblée nationale après 15 ans sans émotion, froidement et en renonçant à «sa» journée d'adieu, une rencontre lointaine avec lui m'est revenue en tête.

C'était il y a près de 15 ans, dans un restaurant de la Grande-Allée où nous étions allés boire un pot pour une entrevue informelle.

 

Le jeune homme venait de signer la fameuse entente tripartite avec Jacques Parizeau et Lucien Bouchard en vue du référendum qui allait suivre quelques semaines plus tard. Il y avait alors beaucoup de pression sur ses frêles épaules, mais rien n'y paraissait.

«Je suis pragmatique. Je ne suis ni méchant ni sensible. J'intègre la pression, voilà tout», m'avait-il avec un calme étonnant pour un gars de 24 ans.

Pas sensible, en effet. Il ne l'est pas plus aujourd'hui. Il a avalé - durement, dit-on - la défaite de l'ADQ aux élections du 8 décembre. Il a analysé la situation et a décidé sur-le-champ de partir.

Il a apparemment broyé du noir pendant les Fêtes, seul avec sa famille à Cacouna, mais il a maintenant «intégré» la défaite et il part faire autre chose sans aucune forme de cérémonie.

Curieux tout de même qu'un jeune homme qui n'a connu qu'un lieu de travail, l'Assemblée nationale, et qui y a vécu tant de moments forts tourne maintenant la page sans l'ombre du début d'une émotion. En fait, curieux, non, c'est typiquement Mario Dumont.

Un autre souvenir, qui date de la même époque, est remonté à la surface, celui des gens qui arrêtaient «Mario» dans la rue pour lui dire «Bravo, lâche pas!» ou «Bonne chance, c'est l'fun que tu sois là».

Le soir du 8 décembre, c'est lui qui s'est senti lâché par ces gens qui, justement, le félicitaient depuis des années d'être là, d'apporter du nouveau et d'imposer une nouvelle opposition dans le décor pépère de la politique québécoise.

Les Québécois l'ont lâché, mais c'est en grande partie de sa faute. Ils ont voulu croire en lui, mais se sont lassés d'attendre quelque chose qui n'est pas venu. Quelque chose comme un vrai programme politique crédible, réaliste, et non pas seulement des flashes et des citations percutantes.

Du moratoire de 10 ans sur les référendums à l'autonomisme, du taux d'imposition unique aux bons en éducation, de l'abolition des commissions scolaires à l'allocation de garde des enfants à la maison, l'ADQ de Mario Dumont a surfé de clips en concepts sans jamais se mouiller dans un véritable programme politique cohérent.

La question que tout le monde se pose: est-ce que l'ADQ peut survivre au départ de Mario Dumont?

On dit souvent que l'ADQ était le parti de Mario Dumont et que Mario Dumont était l'ADQ. C'est tellement vrai que la constitution du parti ne prévoit strictement rien en cas de course à la direction!

Même les députés et les militants de l'ADQ répondent prudemment à la question de la survie de leur parti. La traversée du désert s'annonce longue et, parfois, on ne sort pas vivant d'une telle épreuve.

La clé, disent les adéquistes, passe par le recrutement d'un nouveau chef assez fort pour tenir la barre pendant une longue période de reconstruction, tout en redonnant un élan à cette idée de «troisième voie».

Idéalement, ce chef serait venu de l'extérieur, mais le pouvoir d'attraction de l'ADQ est nul. Bien des lignes ont été mises à l'eau, sans succès.

On a entendu les noms d'André Cayer, de Stéphane Gendron ou de Maxime Bernier, de Marie Grégoire ou Michel Kelly-Gagnon aussi. D'autres verraient bien Joseph Facal. Longue liste, courte réponse: Non, merci.

Reste donc quatre noms possibles: les députés François Bonnardel (Shefford) et Éric Caire (Portneuf), l'ex-député de Lévis, Christian Lévesque et un ancien candidat dans Rousseau (et organisateur adéquiste pour la région de Montréal), Jean-Pierre Parrot, qui songe sérieusement à plonger.

Financièrement l'ADQ est dans la dèche, ce qui, à moyen terme, pourrait provoquer son asphyxie. La perte de quelque 700 000 votes aux dernières élections se traduira par une diminution de la subvention publique d'un million à 400 000$. En plus, les activités de financement tournent au ralenti. «Avant, on avait Mario, qui attirait toujours du monde, mais maintenant...», dit un adéquiste de «terrain».

Au propre comme au figuré, l'ADQ gère la décroissance, étant forcé notamment de réduire la superficie de ses locaux à sa permanence, rue Saint-Maurice à Montréal.

On pourrait penser, dans les circonstances, que les six derniers députés adéquistes seront immanquablement tentés de quitter le navire avant le naufrage annoncé.

Niet. Ceux qui restent ont l'ADQ tatouée sur le coeur, résume Gérard Deltell, député de Chauveau.

«Nous avons été élus avec le vent dans la face, donc par des gens qui croyaient encore à l'ADQ, dit l'ancien collègue journaliste. Pas question de quitter l'ADQ, les électeurs n'aiment pas ça et on sait ce qui arrive à ceux qui le font.»

Cette loyauté n'empêche toutefois pas les libéraux et les péquistes de courtiser les six survivants. «Ils sont très polis avec nous», lance M. Deltell, sourire en coin.

Au-delà de Mario Dumont, et de l'identité de son successeur, la survie, ou la mort, de l'ADQ pose une autre question: y a-t-il un avenir pour un parti de droite au Québec?

Il est assez ironique, en effet, de constater que l'ADQ, parti de centre droit, s'affaisse au moment où le Parti libéral et le Parti québécois sont plus collés que jamais, au point de devenir pratiquement interchangeables, au centre gauche.

S'il existe une planche de salut à l'ADQ, elle est peut-être là: offrir une position crédible en contrepoids au consensus PLQ-PQ.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca