Loin de moi l'idée de défendre ou de blanchir Brian Mulroney, qui passe une très mauvaise semaine devant la commission Oliphant.

Après tout, accepter de fortes sommes d'argent comptant dans des conditions aussi douteuses et cacher au fisc ces revenus pendant des années ne sont pas des gestes dignes d'un ancien premier ministre.

 

Après tout, c'est M. Mulroney lui-même qui a provoqué les malheurs qui s'abattent sur lui.

Et, après tout, c'est Brian Mulroney lui-même qui a réclamé haut et fort la tenue de la présente commission chargée de faire la lumière sur ses relations avec le très intrigant Karlheinz Schreiber.

Malgré tout, je ne peux m'empêcher de trouver pitoyable le spectacle de cette commission.

Un vieux monsieur fatigué, avec de lourdes poches sous les yeux, l'air traqué et qui continue, sur le ton de l'indignation la plus sincère, de plaider la légalité pour mieux faire passer l'immoralité. Un ancien premier ministre condamné d'avance (et depuis longtemps) par les apparences extrêmement défavorables de ses actions et qui s'étouffe dans ses sanglots en évoquant les noms de ses enfants.

Et la réaction des téléspectateurs: une moitié qui dit «Quel comédien, ce Mulroney, il ne dit pas toute la vérité»; et l'autre «Nous en savons bien assez, pourrait-on arrêter cette mascarade?»

On a beaucoup répété, ces dernières semaines, que Brian Mulroney jouait sa réputation et sa place dans l'histoire dans cette commission. Dans les faits, cette cause est déjà entendue: la réputation de M. Mulroney est irrémédiablement ternie.

Brian Mulroney a accompli (ou essayé d'accomplir, avec Meech et Charlottetown, notamment) des choses marquantes (le libre-échange, par exemple) comme premier ministre, mais il a aussi commis une très lourde faute en s'acoquinant avec Karlheinz Schreiber. Autre question, maître?

Le problème avec les commissions d'enquête, depuis Gomery, c'est qu'elles sont devenues des émissions de téléréalité meublant à peu de frais des heures et des heures d'antenne entre les bulletins d'information. On s'attarde aux sanglots, aux prises de bec, aux trous de mémoire, aux sautes d'humeur, mais qu'a-t-on appris que nous ne savions pas déjà?

Une téléréalité surréaliste dont les vedettes sont un ancien premier ministre pris la main dans le sac et son accusateur, un louche homme d'affaires incapable de répéter deux fois la même histoire sans changer de version et qui se bat depuis des années pour éviter l'expulsion vers son pays où il sera emprisonné pour fraude.

Ces derniers jours auront aussi permis de constater (une fois de plus) la grande animosité entre Brian Mulroney et les médias anglophones du Canada.

Je ne défends pas M. Mulroney, je le répète, mais depuis une quinzaine d'années que je côtoie mes collègues du Canada anglais, j'ai souvent remarqué le mépris qu'ils ont pour l'ancien premier ministre. Le goût du luxe et les amis puissants du couple Brian-Mila avaient écorché la réputation de l'ancien premier ministre bien avant les histoires avec Karlheinz Schreiber.

Je me souviens notamment qu'une fois, dans une salle de presse commune, mes collègues s'étaient mis à railler: «Gucci! Gucci shoes!» en voyant Brian Mulroney apparaître à la télévision.

C'est comme cette histoire de Taj Mahal volant, un Airbus que le gouvernement Mulroney avait fait aménager, somptueusement disaient alors les médias, pour les déplacements du premier ministre. Quand Jean Chrétien a utilisé cet avion la première fois, son entourage s'est senti obligé d'offrir une visite guidée aux journalistes pour constater que, finalement, l'aménagement de la cabine était bien modeste.

Les nombreux scandales du gouvernement Mulroney et puis ces histoires avec M. Schreiber ont aussi contribué à détruire la réputation de l'ancien premier ministre.

Cela dit, Brian Mulroney a raison sur au moins un point: ça fait 20 ans que toutes sortes de rumeurs et d'allégations à son sujet circulent dans les médias et jamais n'a-t-on pu l'accuser formellement de quoi que ce soit.

Ce n'est certainement pas cette commission qui y changera quelque chose. Les Canadiens ne s'y sont pas trompés d'ailleurs et ils estiment, selon deux sondages récents, qu'il est bien mal avisé de dépenser 14 millions pour la commission Oliphant.

À part les avocats rattachés à cette commission, qui sont en train de s'en mettre plein les poches, il est bien difficile, en effet, de voir à qui et à quoi profite ce pitoyable exercice.