Le destin des Kennedy n'a jamais été banal. Celui de Barack Obama non plus.

Alors, forcément, lorsque les deux se rencontrent, cela ne peut donner que de grands moments.

De telles rencontres, il y en a eu plusieurs ces dernières années, au point où on peut vraiment parler de destins croisés. La mort, cette semaine, de Ted Kennedy survient d'ailleurs au moment où le président Obama éprouve de sérieuses difficultés à faire accepter sa réforme de la santé, un projet que le défunt sénateur a porté à bout de bras toute sa carrière.

Après l'assassinat de John F. Kennedy, puis de son frère Bobby, le flambeau démocrate revenait naturellement au cadet, Ted. Mais le rêve de pouvoir de celui-ci est mort en même temps qu'une petite amie dans les eaux de la rivière Chappaquiddick un soir de fête.

 

Plusieurs auteurs qui se sont penchés sur la carrière de Ted Kennedy estiment aussi qu'il n'était pas vraiment prêt à devenir président, qu'il assoyait en fait ses ambitions bien plus sur son nom légendaire que sur un véritable programme politique ou une vision pour son pays.

Lorsqu'il a tenté de ravir l'investiture démocrate, en 1980, Ted Kennedy avait le même âge que Barack Obama aujourd'hui. Il était toutefois moins studieux, et même un brin nonchalant. À la question: «Pourquoi voulez-vous devenir président des États-Unis?», le jeune Ted n'avait pas vraiment de réponse, ce qui avait fait mauvaise impression auprès de la presse américaine. Le jeune Obama, lui, n'a jamais eu de mal à répondre à cette question.

Ted Kennedy était l'extension naturelle du rêve inachevé de ses deux frères. Ironiquement, le rêve présidentiel, en se brisant, allait donner naissance à un des plus grands sénateurs de l'histoire des États-Unis.

En se retirant de la course à l'investiture démocrate, en 1980, Ted Kennedy avait en quelque sorte prédit la venue, un quart de siècle plus tard, d'un autre jeune challenger, comme Barack Obama.

Les mots de Ted Kennedy - «Notre cause perdure, l'espoir est toujours vivant et le rêve ne doit jamais mourir» - allaient devenir une grande source d'inspiration pour Barack Obama. Son ralliement à la campagne de Barack Obama, au début de 2008, allait boucler la boucle.

«Il fut un temps où un autre jeune candidat s'est lancé à la course à la présidence en mettant les États-Unis au défi de traverser de nouvelles frontières», avait dit Ted Kennedy en faisant référence à JFK.

«Harry Truman disait que nous avions besoin de quelqu'un de plus expérimenté et avait demandé à JFK d'être patient, avait poursuivi Ted Kennedy devant une foule survoltée à l'American University de Washington. John Kennedy avait répondu: «Le monde change, la vieille façon de faire ne convient plus, le moment est venu pour une nouvelle génération de leaders.»

«C'est la même chose avec Barack Obama: dans l'urgence d'agir maintenant, il a allumé une étincelle d'espoir.»

Ce discours allait planter un clou mortel dans le cercueil de la campagne d'Hillary Clinton et propulser Barack Obama vers la victoire. Celui-ci avouait d'ailleurs récemment au journaliste et auteur Richard Wolffe qu'il est devenu très émotif au point de perdre momentanément ses moyens, lui qui est toujours si calme, le jour où Ted Kennedy a prononcé ce discours.

Curieux détour du destin lorsque l'on pense que Barack Obama, à son entrée au Sénat en 2004, se voyait plutôt jouer un rôle modeste de deuxième, troisième ou peut-être même de quatrième violon derrière les ténors Ted Kennedy et Hillary Clinton. «Comme jeune sénateur recrue, je me voyais apporter mon soutien et mes idées pour aider à élaborer nos politiques, en santé, notamment», disait-il encore à Richard Wolffe.

Avec la disparition de Ted Kennedy, le président Obama perd non seulement le champion de la réforme du système de santé, mais aussi un rempart du libéralisme aux États-Unis.

Autant Ted Kennedy était adulé dans les rangs démocrates, autant il était détesté chez les républicains. Les républicains maudissaient ses réformes en santé, en immigration ou celles en faveur de la discrimination positive pour les Noirs.

Symbole du progressisme pour les uns, Ted Kennedy était devenu l'antéchrist pour les autres. En fait, pour les organisateurs républicains et les groupes de pression alliés, Ted Kennedy était devenu le meilleur ennemi.

En 2004, par exemple, la National Rifle Association avait contribué à la défaite du sénateur Tom Daschle (une star démocrate à l'époque et leader de son parti au Sénat) en distribuant massivement des dépliants le caricaturant en pantin contrôlé par Ted Kennedy et Hillary Clinton.

Aujourd'hui, alors que la famille démocrate enterre Ted Kennedy, c'est le président Obama qui hérite seul du lourd fardeau de continuer le combat de la vie du défunt sénateur.

Il se retrouve aussi seul dépositaire du «rêve», de l'«espoir», de la «cause», des mots qui sont devenus, avec les Kennedy, des marques déposées du Parti démocrate.