En démissionnant de son poste de lieutenant, Denis Coderre a insisté sur la nécessité des liens indéfectibles entre le titulaire de ce poste et son chef.

Il a raison. Il aurait toutefois dû ajouter que la principale qualité d'un lieutenant, en échange de la confiance illimitée de son chef, est d'être d'une loyauté tout aussi indéfectible.

Depuis le premier jour, le couple Ignatieff-Coderre était condamné au divorce.

Au sein du Parti libéral du Canada, tout le monde reconnaît que M. Coderre est un organisateur efficace et un travailleur infatigable. Tout le monde sait aussi, par contre, qu'il entretient les plus grandes ambitions, d'où cette boutade parmi les libéraux: «Denis Coderre organise, mais surtout, il s'organise.»

Michael Ignatieff a certes manqué de jugement politique en désavouant son lieutenant et de colonne vertébrale en pliant devant Martin Cauchon. Cela dit, il n'y aurait pas eu de psychodrame à Outremont si M. Coderre ne s'était pas senti menacé par le retour de son rival.

Denis Coderre m'a déjà dit lui-même, il y a quelques années, ne pas vouloir du poste de lieutenant parce que c'est incompatible avec ses ambitions. Les lieutenants ne deviennent pas chef, ils servent leur chef.

M. Coderre s'est pris les pieds dans ses contradictions, hier matin, en affirmant avoir toujours placé son parti avant ses intérêts, alors que dans le fond, sa décision est purement une affaire d'ego meurtri. Lui qui dit avoir encore confiance en son chef vient de lui asséner un coup dans les flancs en disant tout haut qu'il est mou, manipulable et qu'il a cédé aux pressions de l'establishment de Toronto. Du petit lait pour le Bloc québécois, les conservateurs et les néo-démocrates, qui ne se gêneront certainement pas pour utiliser les critiques de M. Coderre.

Par ailleurs, Denis Coderre affirme ne rien avoir contre Martin Cauchon, mais il remet clairement en question la décision de son chef de lui avoir ouvert la porte d'Outremont. Selon l'ex-lieutenant, cette décision a été prise sous la pression d'une clique torontoise qui ne connaît rien du terrain politique québécois.

C'est Toronto qui mène le PLC, dénonce M. Coderre. Il a en grande partie raison. C'est bien là son problème: il vient de déclarer la guerre à la «garde rapprochée de Toronto». Il a refusé de nommer ces «conseillers torontois qui ont une méconnaissance totale de la réalité sociale et politique québécoise», mais il est évident qu'il vise les Bob Rae ou Alf Apps, le président du PLC.

Ce dernier a pris la peine de me téléphoner, de Toronto justement, vendredi dernier, pour me dire à quel point Michael Ignatieff avait bien géré la crise Cauchon-Coderre dans Outremont. Il a aussi vanté profusément Denis Coderre («qui n'a jamais voulu tasser Martin Cauchon», m'a-t-il dit) et s'est félicité du retour de M. Cauchon dans la famille libérale. Hier, ce beau portrait de famille s'est soudainement décomposé sous nos yeux.

Circonscrire les appuis de Martin Cauchon à quelques conseillers de Toronto est certes réducteur. Denis Coderre n'est pas sans savoir que le principal supporter de M. Cauchon est Jean Chrétien, qui est encore très pesant dans l'establishment libéral.

Le retour en force de Martin Cauchon au PLC n'est pas un hasard et les appuis de puissants libéraux ne sont pas fortuits. S'il devait arriver malheur à Michael Ignatieff aux prochaines élections, ce qui est loin d'être impossible, il faudra bien le remplacer. De toute évidence, l'establishment du PLC préfère Martin Cauchon à Denis Coderre.

Au-delà de la démission spectaculaire de Denis Coderre, la journée d'hier marquait donc le jour 1 d'une nouvelle course non officielle à la direction du PLC. Après la guerre Chrétien-Martin, voici la suite: Cauchon-Coderre.

Tout cela a des relents de vieilles chicanes, de guerres de pouvoirs, de règlements de comptes.

Ce devait être la semaine de Michael Ignatieff, son premier pas vers le pouvoir.

Le voilà plutôt empêtré dans une crise embarrassante, obligé de répondre aux critiques de son ex-lieutenant. Ce devait être le procès du gouvernement Harper, cette semaine aux Communes, mais c'est le chef libéral qui se retrouve au banc des accusés pour manque de jugement et d'instinct politique.

Pendant ce temps, Stephen Harper sillonne le pays en distribuant les milliards et en vantant le bilan de son plan de relance.