À moins de vivre à Naïveland et d'avoir une foi inébranlable dans la bonté du genre humain, il devient de plus en plus difficile de nier l'infiltration profonde et bien organisée de puissants entrepreneurs dans les cercles politiques municipaux du Québec.

Cela justifierait-il la tenue d'une enquête publique? Oui, sans aucun doute. Mais il n'y en aura probablement pas parce que le gouvernement Charest a bien trop peur de ce qu'on pourrait découvrir si on se met à gratter un peu trop les relations impliquant les milieux politique, de la construction et possiblement du crime organisé.

Des prix gonflés, de la collusion, des enveloppes brunes bourrées de fric, des centaines de millions de dollars en fonds publics en jeu, de l'infiltration dans les administrations municipales, des liens avec de grandes centrales syndicales et leur bras financier, des manoeuvres d'intimidation... Voilà une belle boîte de vers. Si vous en sortez un, vous ne savez jamais combien d'autres suivront et les vers, c'est bien connu, se multiplient quand on les coupe.

Une commission d'enquête large, un genre de SECO II, ce serait comme une grosse bière bien brassée avant d'être servie : quand la capsule saute, tout le monde dans la pièce en prend plein la tronche.

Souvenez-vous de la commission Gomery, qui s'est penchée sur une affaire infiniment moins importante que les histoires qui font la manchette ces jours-ci. Le gouvernement Charest, comme tous les gouvernements au pays, a pris bonne note. Pas question de créer un tel monstre.

On pourrait évidemment restreindre les histoires récentes (et une éventuelle commission d'enquête) aux seuls liens anecdotiques entre certains politiciens municipaux et des entrepreneurs trop généreux, mais les méthodes mises au jour aussi bien dans l'administration Tremblay qu'auprès de Benoit Labonté ou encore à Boisbriand démontrent a) un niveau d'infiltration inquiétant, b) des liens troublants entre politiciens et entrepreneurs, c) une approche organisée dotée de moyens importants et d) des conséquences graves pour la démocratie et les contribuables, qui payent systématiquement trop cher pour les grands projets publics.

Même si, théoriquement, les entreprises en question n'ont violé aucune loi, elles ont néanmoins «investi» avec un but précis autre que la noble intention de participer à la vie démocratique.

Pourquoi un important entrepreneur, fournisseur privilégié de la Ville de Montréal, arroserait-il généreusement le chef de l'opposition un an avant les élections?

Poser la question, c'est y répondre. Si celui-ci prend le pouvoir, il aura nécessairement une dette envers ses bienfaiteurs qui sont, comme par hasard, en affaires avec la Ville. Si, par contre, les généreux donateurs ne sont pas satisfaits de leur candidat, ils pourront toujours le torpiller avec de croustillantes informations.

Dans les deux cas, on le voit trop bien ces jours-ci, quelques acteurs puissants et bien branchés peuvent faire dérailler complètement une campagne électorale. Le plus ironique, c'est que les gros donateurs aux enveloppes bien garnies qui ont coulé Benoit Labonté n'ont, eux, rien à se reprocher puisqu'ils ont agi en toute légalité.

Qui a «cochonné» Benoit Labonté? C'est la question que tout le monde se pose dans les milieux politiques québécois depuis trois jours.

M. Labonté a cédé sa place l'été dernier à Louise Harel, qui joue madame Blancheville de l'hôtel de ville en promettant un grand ménage. Cela a peut-être déplu à des gens qui ne supportent pas l'odeur du détergent.

Bien sûr, il faut urgemment assainir les moeurs politiques municipales et resserrer les règles de financement des partis politiques et des candidats à la direction. Cela aurait dû être fait depuis longtemps. À Ottawa, qui a tardé à agir pour nettoyer le monde politique, les courses à la direction sont couvertes par la loi électorale depuis près de six ans.

Outre les dons secrets aux candidats des courses à la direction des partis au Québec, le fait qu'un parti municipal peut encore aujourd'hui taire la provenance de 20% de ses revenus est parfaitement aberrant. Quelle belle invitation aux dons anonymes d'entrepreneurs soucieux de laisser bien en évidence leur carte sur le bureau du futur maire.

Un bon ménage s'impose dans ces pratiques. Et vite. Il est d'ailleurs curieux d'entendre Louise Harel prêcher la transparence aujourd'hui, elle qui n'a pas fait de gestes en ce sens pendant ses trois ans au poste de ministre des Affaires municipales.

Bien sûr, il y a quelque chose de pourri dans le royaume municipal. Mais qui dit que le mal ne s'est pas infiltré en politique provinciale, où il y a encore plus d'argent en jeu?