Pauvre Stephen Harper... Lui qui pensait éviter les critiques de ses adversaires en fermant le parlement pour l'hiver, il s'est fait joliment frotter les oreilles par Jean Charest hier, à Rivière-du-Loup, où il venait pourtant annoncer un investissement en environnement.

Que le fédéral contribue financièrement à transformer en énergie les déchets domestiques du Bas-Saint-Laurent, le gouvernement du Québec s'en réjouit, mais M. Charest ne regrette pas d'avoir ouvertement critiqué le gouvernement fédéral le mois dernier à Copenhague.Dur coup pour Stephen Harper, qui s'est douloureusement rendu compte que Jean Charest, contrairement à Michael Ignatieff, est solidement en selle et qu'il attaque avec toute l'assurance propre à une telle position.

Le moment aura été visiblement désagréable pour M. Harper, qui, autrement, s'en tire plutôt bien en ce début d'année. La stratégie de Stephen Harper de proroger le Parlement est éminemment discutable, mais il faut admettre qu'elle le sert bien.

Remarquez l'ironie : voici un homme à qui les médias reprochent depuis des années d'être inaccessible et qui, soudainement, multiplie les entrevues depuis deux semaines (CBC, Radio-Canada, National Post-Canwest, A Channel, BNN, Astral, La Presse, plus la série des traditionnelles entrevues de fin d'année aux grands réseaux de télévision).

On peut bien lui reprocher de se soustraire aux débats parlementaires ou critiquer son mépris évident des institutions dont il est le premier représentant, mais en parlant aux médias, il rejoint directement les électeurs, sans le filtre parfois bruyant de l'opposition. Il contrôle le message dans un cadre moins hostile.

De plus, en fermant le parlement, il évite de devoir rendre des comptes devant les élus.

Cette façon de gouverner s'approche du modèle présidentiel américain, qui préserve le président d'échanges directs avec les élus du Congrès. En décidant de clore unilatéralement les débats, M. Harper s'arroge par ailleurs, comme le président, un droit de veto : «J'en ai assez, on ferme!»

Même chose pour cette idée de proroger la session parlementaire et de revenir chaque année avec un discours du Trône, ce qui ressemble au fameux State of the Union du président américain.

Pour M. Harper, le Parlement est clairement une nuisance dont il faut limiter les activités. Selon le premier ministre, la Chambre des communes cause de l'instabilité sur les marchés (en plus de menacer son gouvernement, il va sans dire). «Dès que le Parlement reprendra les travaux, nous nous retrouverons en minorité. D'abord, il y aura un vote de défiance, et il y aura ensuite des motions de défiance et des spéculations d'élections chaque semaine pour le reste de l'année. Voilà le genre d'instabilité qui inquiète les marchés», a déclaré lundi M. Harper au Business News Network.

Cette idée de proroger le Parlement chaque année et de reprendre avec un discours du Trône ne colle pas à la réalité de notre système parlementaire. D'abord, un discours du Trône n'est pas un State of the Union : il ne s'agit pas d'un état des lieux, mais bien des priorités législatives du gouvernement pour la prochaine session. Décréter à l'avance que cette session ne durera qu'un an (huit mois de travaux au Parlement dans les faits), c'est condamner ses propres priorités à s'échouer sur l'iceberg de la date limite. Surtout pour un gouvernement minoritaire.

Par ailleurs, réduire le Parlement au silence en prétextant qu'il nuit au bon travail du gouvernement, comme M. Harper le fait, ne fera qu'alimenter le désabusement de la population envers les institutions.

Pire encore, toute la stratégie de M. Harper repose, justement, sur le je-m'en-foutisme des électeurs face à la chose politique. Il faudra bien plus, en effet, qu'une prorogation, décidée sur un coup de téléphone le 30 décembre, pour allumer la mèche de l'indignation d'une population indifférente.

Même Tom Flanagan, ancien proche conseiller de Stephen Harper et chaud partisan des mesures conservatrices, l'admet candidement.

«Tout le monde sait qu'on a prorogé le Parlement pour mettre un terme à l'enquête afghane, a dit le professeur de l'Université de Calgary, lundi sur les ondes de CBC. Les justifications du gouvernement ne sont pas vraiment crédibles. Au lieu de présenter des arguments d'adulte, le gouvernement invente ces justifications enfantines. Puis il essaie de les renforcer avec d'autres trucs qui n'ont aucun sens non plus.»

Voilà qui a l'avantage d'être clair.