Il y a quatre ans aujourd'hui, Stephen Harper arrachait le pouvoir aux libéraux au terme d'une campagne électorale méticuleuse et efficace, permettant ainsi aux conservateurs de diriger le pays après une longue et pénible traversée du désert. Bons coups, mauvais coups, bonds en avant et reculs. Coup d'oeil sur les années du régime Harper.

Après quatre ans au pouvoir, un mandat «normal» en quelque sorte (entrecoupé d¹une deuxième élection, en 2008), quel est le bilan du gouvernement conservateur? Le premier mot qui vient en tête est : mitigé.

 

Bilan mitigé et, surtout, réaction mitigée de l¹électorat canadien qui nourrit encore aujourd'hui, quatre ans plus tard, une certaine ambivalence envers M. Harper. Oui, le bonhomme est compétent, mais non, on ne lui fait pas suffisamment confiance pour lui donner une majorité.

La plus grande réussite de Stephen Harper aura sans doute été d¹unir la droite canadienne après des années d'errance, ce qui devait lui permettre de prendre le pouvoir. Son plus grand échec, depuis 2006, aura toutefois été son incapacité de rendre cette nouvelle force politique acceptable à une majorité de Canadiens.

Au Québec, sa récolte électorale inespérée (10 sièges) en 2006 et ses deux victoires inattendues lors de partielles dans des bastions bloquistes (Roverval-Lac-Saint-Jean en septembre 2007 et Rivière-du-Loup en novembre 2009) sont certes de hauts faits d'arme, mais le Parti conservateur a aussi connu des chutes de popularité impressionnantes, comme le démontre notre tableau.

Ses partisans le trouvent franc, brillant et efficace; ses adversaires, au contraire, l'accusent d¹être retors, calculateur et froid.

Après quatre ans au pouvoir, Stephen Harper demeure un personnage insaisissable pour bien des électeurs. Un doute, pour ne pas dire la suspicion, subsiste.

Promesses tenues, reculs spectaculaires

Stephen Harper a gagné les élections de 2006 lorsqu'il a compris qu'il devait a) taper sur le clou de l'intégrité, maillon faible de la chaîne libérale et, b) présenter un plan simple et efficace.

«Quand vous avez trop de priorités, vous n'en n'avez plus», avait lancé M. Harper pour se moquer de Paul Martin au cours de cette campagne électorale. Le tour était joué.

Pendant que Paul Martin s'épivardait, allant jusqu'à promettre de triturer la Charte des droits, les conservateurs, eux, ont promis d'agir sur cinq fronts : la transparence du gouvernement, la sécurité et la lutte à la criminalité, le règlement du déséquilibre fiscal, une baisse de la TPS de 7 % à 5% et l'aide aux familles.

On pourrait débattre de l'efficacité fiscale ou sociale des politiques du gouvernement Harper, mais il faut admettre que ses cinq promesses ont été remplies. Le problème, c'est que le gouvernement minoritaire conservateur est vite tombé en panne de priorité après son élection de 2006 et qu'il s'est fait réélire, minoritaire toujours, en octobre 2008, sur un programme vide. Et sur la perception, fausse, que le Canada serait préservé de la crise financière et de la récession. La réalité allait vite rattraper Stephen Harper (et les Canadiens).

Depuis, nous avons assisté à plusieurs reculs spectaculaires de ce gouvernement, à commencer par le déclenchement des élections en septembre 2008, malgré la promesse de tenir des élections à date fixe pour éviter de donner tout le pouvoir au premier ministre sur la date du scrutin.

Exit, également, la promesse de ne pas nommer de nouveaux sénateurs tant que le sénat ne sera pas réformé (le PCC disait même : réforme ou abolition du sénat).

Quant au pouvoir absolu du premier ministre, tant décrié par les conservateurs quand ils étaient dans l'opposition, Stephen Harper a démontré qu'il peut lui aussi en abuser en prorogeant deux fois le Parlement en 12 mois!

Le chef conservateur a un sens de la stratégie assez spectaculaire, comme il l'a démontré lors des votes sur la reconnaissance de la nation québécoise et sur l'avenir de la mission canadienne en Afghanistan, mais il semble dépourvu dès qu'il est confronté à des crises.

C'est particulièrement frappant pour les affaires étrangères. De ses passages aux grandes réunions internationales, on retient surtout qu'il est arrivé en retard deux fois pour la photo de famille, une anecdote révélatrice de la présence canadienne sur la scène internationale ces dernières années.

En 2006, M. Harper a semblé complètement dépassé par l'intervention militaire israélienne au Liban, montrant une indifférence choquante pour les civils libanais (sa réaction suite au séisme en Haïti montre qu'il semble avoir appris).

L'automne dernier, son gouvernement a exprimé toute son indifférence pour les prisonniers torturés en Afghanistan, accusant plutôt les partis de l'opposition de soutenir les talibans.

Idem pour les Canadiens détenus et condamnés à l'étranger (y compris ceux condamnés à mort), dont les cas seront évalués, à Ottawa, selon la gravité de leurs actes. Dorénavant, être citoyen canadien ne vous garantit plus le soutien de votre gouvernement à l'étranger, ce qui constitue un virage à 180 degrés pour le Canada. Même les décisions défavorables des tribunaux canadiens n'ont pas fait reculer le gouvernement Harper.

Du fond de sa cellule à Guantanamo, Omar Khadr est devenu le symbole de cette nouvelle politique.

La ligne dure plaît aux partisans conservateurs, mais pour leurs détracteurs, les politiques de M. Harper ont de désagréables relents de «bushisme». Militariste, terriblement partisan (vous êtes avec moi ou contre moi), jouant sur la fibre patriotique, adepte de la publicité négative et obsédé par la loi et l'ordre, le gouvernement Harper ressemble en effet au régime de l'ancien président américain.

Sans oublier les politiques environnementales, ou plutôt l'absence de politique environnementale, qui ont catapulté le Canada dans le camp de cancres de la classe verte.

Crise de décembre 2008 et crise économique

Au cours des 48 derniers mois du régime Harper, les trois derniers de 2008 auront probablement été les plus marquants. D'abord à cause de la réélection des conservateurs, mais surtout en raison des crises politique et économique.

Après avoir été réélu sans réel programme politique, M. Harper a braqué l'opposition en menaçant de couper le financement public aux partis politiques, un geste de pure provocation sorti de nulle part au moment où le gouvernement aurait plutôt dû de préoccuper de la crise financière qui pointait à l'horizon.

On connaît la suite : les partis de l'opposition, réunis en coalition, ont menacé de renverser le gouvernement, qui a sauvé sa peau in extremis en obtenant la prorogation du Parlement.

Ironiquement, c'est la crise économique qui allait sauver Stephen Harper en 2009. Les mesures énergiques (plutôt libérales que conservatrices, d'ailleurs) de relance annoncées par les conservateurs ont, de toute évidence, plu aux Canadiens. Au point où les bleus sont entrés, sur papier du moins, en zone majoritaire, avant de redescendre, plombés par la prorogation intempestive du Parlement.

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LE POULS DU QUÉBEC DEPUIS 2006

 

2006

23 janvier: élection du premier gouvernement minoritaire de Stephen Harper

Août: Israël bombarde le Liban; Harper fortement critiqué au Canada

Novembre: reconnaissance de la nation québécoise aux Communes

2007

Mars: deuxième budget Flaherty: réglement du déséquilibre fiscal

Automne: l'affaire Mulroney-Schreiber revient hanter les conservateurs

Décembre: visite remarquée de Stephen Harper dans le comté de Mario Dumont

2008

Janvier: la TPS passe à 5% (elle était à 7% au moment de l'élection des conservateurs)

Mai: Maxime Bernier démissionne de son poste de ministre des Affaires étrangères après avoir oublié des documents chez son ex-petite amie, Julie Couillard

Septembre: Stephen Harper déclenche des élections malgré son engagement à tenir des élections à date fixe

Octobre: le PCC est réélu minoritaire, mais plus fort

Décembre: crise politique à Ottawa: PLC-NPD avec l'appui du Bloc forment une coalition pour renverser le gouvernement Harper, mais celui-ci obtient la prorogation de la Chambre et sauve sa peau.

2009

Mars: budget Flaherty: retour officiel au déficit quatre mois après les prévisions de surplus du gouvernement. Plan de relance majeur financé par les fonds publics en infrastructures

Août: Harper nomme neuf nouveaux sénateurs (malgré sa promesse de ne pas le faire), dont Jacques Demers

Automne: crise politique autour du sort des prisonniers afghans