Les conservateurs de Stephen Harper sont arrivés au pouvoir il y a quatre ans. Quels sont leurs bons - et leurs moins bons - coups et quel est leur principal défi pour la suite? Pour sa deuxième et dernière chronique consacrée aux quatre ans du régime Harper, notre chroniqueur a demandé au professeur Tom Flanagan, ex-proche conseiller de M. Harper, de dresser un bilan.

On dit souvent en politique que le pire ennemi est celui de l'intérieur. On pourrait dire la même chose des critiques: elles font toujours plus mal lorsqu'elles viennent de la «famille».

 

Ancien directeur de campagne de Stephen Harper, duquel il a longtemps été principal conseiller et maître à penser, le politicologue Tom Flanagan a le don de mettre le doigt sur le bobo des conservateurs depuis quelques années. Tellement, en fait, qu'un froid intense s'est installé entre lui et le premier ministre au cours des derniers mois.

Le professeur de l'Université de Calgary dit appuyer 95% des décisions du gouvernement Harper, mais ses critiques sur les 5% restants sont sévères. Il dénonce particulièrement l'obsession de Stephen Harper pour la stratégie, une obsession qui prend régulièrement le pas sur la gouvernance du pays.

Les fleurs, d'abord.

«Je ne sais pas si le Canada est plus sûr qu'il y a quatre ans, comme l'affirme Stephen Harper, mais le gouvernement a certainement le mérite d'avoir retapé les Forces armées et d'avoir restauré la relation entre les Forces et les Canadiens. On le voit, notamment, en ce moment avec le déploiement en Haïti», estime Tom Flanagan.

Quant à la loi et l'ordre, autre point fort des conservateurs, il ajoute: «Le gouvernement Harper a permis de changer le débat sur la criminalité. Avec les libéraux, il s'agissait de trouver les racines du crime. Avec les conservateurs, il s'agit d'éliminer les criminels des rues (get them out of the streets).»

Tom Flanagan a publié en 2007 un excellent livre sur les années Harper (Harper's Team, Behind the Scenes in the Conservative Rise to Power, McGill-Queen's University Press 2007, mis à jour après la crise politique de décembre 2008) et il écrit régulièrement des textes dans les pages d'opinion du quotidien The Globe and Mail.

Selon lui, la grande réussite de Stephen Harper demeure, à ce jour, d'avoir uni la droite en un parti solide et discipliné, profitant ainsi de l'éclatement des partis de centre-gauche. M. Harper, ajoute Tom Flanagan, «divise pour régner», plaçant toujours au moins un des trois partis de l'opposition dans une situation précaire.

Le talent naturel de M. Harper pour la stratégie vire toutefois à l'obsession, critique M. Flanagan. Dans une biographie fouillée sur le chef conservateur (Stephen Harper and the Future of Canada, Douglas Gibson Books, 2005), William Johnson rapporte que celui-ci a déjà confié à des proches qu'il «pense à la stratégie 24 heures sur 24».

Stephen Harper est un stratège brillant, c'est indéniable, mais il doit maintenant apprendre à être premier ministre, dit M. Flanagan.

«Stephen est perçu comme un stratège et les gens n'aiment pas les stratèges parce qu'ils ont l'impression qu'ils sont prêts à tout pour arriver à leur fin», analyse le politicologue.

C'est cette lubie pour la stratégie qui a mené Stephen Harper à commettre ce que Tom Flanagan estime être sa pire erreur: tenter d'asphyxier les partis de l'opposition, en décembre 2008, en annonçant qu'il sabrerait les subventions publiques aux partis politiques. Dans les jours qui ont suivi, les partis de l'opposition ont formé une coalition, les conservateurs ont failli être renversés et M. Harper a sauvé sa peau de justesse grâce à la prorogation.

La réputation de Stephen Harper en a pris tout un coup, constate M. Flanagan (comme tous les commentateurs politiques du pays).

«En 2009, il avait réussi en partie à restaurer sa réputation, mais il est retombé encore une fois à cause de la prorogation (de décembre dernier). Il subsiste toujours un doute, une suspicion envers M. Harper. Comme il a toujours joué dur en politique, c'est plus difficile pour lui. Il doit régler ce problème de perception.»

Selon M. Flanagan, «les gens oublieront la prorogation après les Jeux olympiques de Vancouver et le budget, mais en attendant, Harper paye un prix plus élevé à cause de sa réputation».

Dans son bouquin, M. Flanagan y va de cette phrase acérée: «Après la mésaventure de décembre 2008, plusieurs ont conclu que le sens politique de M. Harper était surévalué. C'est un revirement dangereux pour lui parce que si vous ne pouvez être aimé, au moins, vous devez être respecté.»

En entrevue la semaine dernière, M. Flanagan a ajouté: «Stephen ne veut pas être aimé, mais il veut réussir et il a toujours su réagir et se replacer. Il y arrivera encore cette fois.»

Comment?

La prescription du prof Flanagan: «Stephen doit être aimable, jouer du piano, comme il l'a fait l'autre fois et cela a très bien marché. Et gouverner. Établir un plan et le suivre.»

Il ne peut toutefois pas donner ses conseils directement au premier ministre puisque celui-ci le boude. Il semble, entre autres choses, que M. Harper n'ait pas apprécié les détails désagréables pour lui et son parti dans le bouquin du prof Flanagan.

«Mes relations avec Stephen sont inexistantes depuis un moment», confirme-t-il.

Apparemment, 5% de critiques, c'est déjà trop pour le chef conservateur.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca

 

LES BONS COUPS DU LEADER CONSERVATEUR

2006

> Avril Premier budget Flaherty: baisse de la TPS de 7% à 6% et allocation mensuelle directe de 100$ par enfant

> Mai Accord avec le gouvernement Charest pour une place du Québec à l'UNESCO

> Novembre Reconnaissance aux Communes de la nation québécoise

2007

> Mars Deuxième budget Flaherty: règlement du déséquilibre fiscal

> Septembre Victoire surprise des conservateurs à la partielle dans Roberval-Lac-Saint-Jean (Denis Lebel)

2008

> Janvier Deuxième baisse de la TPS de 6% à 5%

> Mars Vote aux Communes pour la prolongation de la mission canadienne en Afghanistan jusqu'en 2011

> Octobre Réélection des conservateurs, avec plus de sièges

2009

> Janvier Plan de relance majeur et programme d'infrastructures

> Novembre Victoire surprise dans la partielle de Montmagny-L'Islet-Kamouraska-Rivière-du-Loup (Bernard Généreux)