Dans un pays comme Haïti, où tout est toujours flou, obtenir des statistiques fiables, c'est comme essayer, à Montréal, de capter les chaînes de télévision câblées avec des oreilles de lapin.

Même pour des données que l'on juge normalement élémentaires dans presque tous les pays, comme le nombre d'habitants, on nage en pleine approximation.

 

Alors pour le nombre de morts, de blessés, de déplacés, il va falloir se contenter d'aperçus plutôt que de statistiques.

Comment les autorités haïtiennes peuvent-elles vraiment savoir combien de gens sont morts ou disparus ou ont quitté la capitale si elles n'avaient au départ qu'une très vague idée de la population de la capitale? Si on n'arrive pas à répertorier, même pas à peu près, les vivants, imaginez les morts...

J'ai demandé cette semaine au conseiller spécial du président combien il y a d'habitants à Port-au-Prince. Voici sa réponse: de 3 à 4 millions dans le département de l'Ouest (qui englobe la capitale) et de 1,5 à 2 millions dans Port-au-Prince. Nous sommes tout de même dans des marges d'erreur de 25%...

Autre question au conseiller spécial: à combien s'élève la dette extérieure d'Haïti? Rictus d'un gars mal à l'aise de répondre... Je n'ai finalement pas obtenu de réponse. Le gouvernement haïtien réclame à grands cris l'annulation d'une dette dont il ignore l'ampleur. (Selon diverses sources, c'est autour de 1 milliard de dollars américains, mais ça vaut ce que ça vaut.)

Et ainsi de suite, chaque fois que l'on cherche des données fiables. C'est frustrant pour un journaliste, mais ce n'est pas si grave. Pour les épidémiologistes et les économistes internationaux, par contre, ça cause un léger problème pour l'exactitude des recherches et des plans d'action.

Voici tout de même, aux fins d'analyse du cas haïtien, dont on n'a pas fini de parler, quelques chiffres et statistiques fiables (je crois).

- Découpage administratif: 10 départements (pour 9 millions d'habitants), 144 communes et 570 sections communales. Vous pensez que le Montréal des arrondissements est complexe...

- Démographie: espérance de vie: 53 ans (presque 30 ans de moins qu'au Canada); seulement 3% de la population a 65 ans et plus; 35% de la population a moins de 15 ans (et un certain nombre d'entre eux sont maintenant orphelins, comme ces deux ados rencontrés hier, place Saint-Pierre, le grand camp de réfugiés en face du Palais national. Avant le 12 janvier, il y avait un certain avenir pour ces deux jeunes garçons visiblement instruits. Maintenant, ils n'ont plus de parents et ils vivent dans la rue...).

- Langue: 80% des Haïtiens ne parlent que le créole, 20% parlent créole et français.

- Économie: salaire annuel moyen: 250$US, quoique cette donnée soit régulièrement contestée. Selon tous les chiffres disponibles, le salaire annuel moyen est certainement sous les 1000$US; salaire minimum (eh oui, Haïti a adopté une loi sur le salaire minimum l'an dernier): 200 gourdes par jour, soit à peu près 5$US. Une controverse a éclaté d'ailleurs cette semaine à Port-au-Prince parce que le gouvernement ne verse que 150 gourdes par jour aux gens engagés pour ramasser les débris en ville, ce qui constitue une contravention à la loi. L'État se défend en disant qu'il paye deux repas aux ouvriers. Il leur donne aussi un beau t-shirt aux couleurs du gouvernement.

- Accord Petrocaribe avec le Venezuela: Hugo Chavez, qui alimente ses relations diplomatiques avec son pétrole, a offert un deal à Haïti (entré en vigueur en 2006): je vous livre du pétrole, vous n'en payez que 50% tout de suite, le reste, pendant les 25 prochaines années, à 2% d'intérêt. Évidemment, l'État revend le pétrole au plein prix, empochant la différence pendant des années. Un bon deal, en théorie. Depuis 2006, Haïti a reçu pour 460 millions de pétrole du Venezuela mais n'a payé que 233 millions. Le problème, c'est que le Programme d'urgence post-désastre adopté par le gouvernement après les ouragans des dernières années a englouti 200 millions de dollars américains...

- Politique, nombre de partis politiques et vie démocratique: il existe, là encore, un flou artistique. Il y aurait plus de 45 partis politiques reconnus en Haïti. Des partis reconnus... par le gouvernement. Machiavel appelait cela «diviser pour régner».

- Une dernière donnée étonnante pour finir: l'Arabie Saoudite a donné 50 millions de dollars américains à Haïti, ce qui place ce pays du Moyen-Orient dans le top 5 des donateurs. L'Arabie Saoudite? Cela mérite de plus amples recherches.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca