Les Jeux olympiques de Vancouver n'en sont qu'à leurs premiers jours, mais on doit déjà constater qu'ils n'offrent pas, jusqu'ici, le grand moment de communion nationale dont rêvaient les stratèges conservateurs l'automne dernier.

Les Jeux faisaient partie intégrante de l'«opération prorogation» de Stephen Harper, en décembre. On ferme le Parlement juste avant Noël, on réapparaît en force lors des JO, et tout le monde applaudit le franc succès (et le gouvernement, par ricochet).

Comme quoi il ne faut jamais essayer de trop prévoir en politique parce que, finalement, on maîtrise bien peu de choses. Même lorsqu'on s'appelle Stephen Harper et qu'on a tendance à vouloir tout régenter.

De quoi parle-t-on depuis vendredi? D'un bête et tragique accident de luge, du manque de neige et de l'absence du français lors de la cérémonie d'ouverture.

Bon, soyons juste: l'angle de la piste de luge et la rareté de la neige, ce n'est pas la faute du gouvernement Harper.

Le mépris du français, par contre, c'est une autre histoire. Dans un pays hypersensible aux questions linguistiques, un pays dirigé par un premier ministre anglophone qui prend soin de commencer toutes ses interventions en français, le gouvernement fédéral doit veiller au grain. D'autant plus que ce gouvernement ne se gêne pas pour intervenir auprès d'organismes, de ministères, de groupes, etc., pour faire passer ses messages.

Que le ministre du Patrimoine, James Moore, déplore le peu de place fait au français dans cette cérémonie, c'est très bien, mais il aurait mieux fait d'intervenir AVANT pour s'assurer que tout le monde comprenne bien la commande.

Le plus crasse de l'histoire, ce n'est pas tant que le français ait été relégué, encore une fois, au rang de langue indigène; c'est que plusieurs personnes et organismes sonnent l'alarme depuis des mois.

Le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, a interpellé le comité organisateur il y a plusieurs mois. Les francophones hors Québec - en particulier la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique - et le gouvernement du Québec ont indiqué il y a un bon moment que le français devait avoir sa place aux JO.

De nombreux journalistes, dont votre humble serviteur en novembre dernier, ont soulevé et dénoncé des lacunes impardonnables. Le fait, par exemple, de demander à la dernière minute à un chanteur anglophone de traduire une de ses chansons pour que quelques mots de français résonnent durant la fête pour le compte à rebours avant les Jeux. C'était il y a un an. On aurait dû comprendre la leçon et ajuster le tir.

Autre exemple: les autorités de l'aéroport de Vancouver ont réalisé en catastrophe, trois mois avant les Jeux, qu'ils n'avaient pas de services en français. Et le fait, plus révélateur encore, que le COVAN n'avait, au sein de sa direction, aucun membre capable de s'exprimer correctement en français. Même pas pour un clip à la télé!

Ces incidents auraient dû allumer des voyants rouges, mais le COVAN, de toute évidence, a préféré fermer les yeux.

Le plus frustrant, ce n'est pas, en soi, le manque de français. Ce n'est pas, non plus, de réaliser que le Canada n'est PAS un pays bilingue (I'm not that naive, comme on dit à Vancouver: ça fait 20 ans que je sillonne ce pays dans tous les sens). Le plus frustrant, c'est que l'on méprise sciemment l'autre langue officielle, en toute connaissance de cause, sans même avoir la décence de dire: «Oops! Sorry.» La réponse du COVAN sonnait beaucoup plus comme f... y...!

La controverse sur le choix des concepteurs (australiens!) de la cérémonie continue par ailleurs à alimenter les discussions à Vancouver. Il semble que de grands noms, comme Robert Lepage, ont été pressentis et qu'ils étaient intéressés (et certainement compétents), mais le COVAN aurait trop tardé à les embaucher formellement. Si on veut un Robert Lepage, on l'attache des années à l'avance avec une entente formelle. Autrement, il ira ailleurs, où on se l'arrache.

À Vancouver, dans les milieux politiques, on dit aussi qu'on aurait demandé à Gilles Vigneault de céder les droits de sa célèbre chanson Mon pays, mais qu'il aurait refusé.

Sur le front politique, reste à voir quelles répercussions le «Frenchgate» aura sur le mouvement souverainiste.

Il y a toujours un risque, pour les ténors souverainistes, à jouer la carte de la rancoeur et de l'humiliation mais, dans ce cas-ci, on ne pourra pas les blâmer de manifester leur indignation. Même les fédéralistes québécois sont consternés!

Plus besoin qu'une bande de red necks brûlent un drapeau québécois à Brockville. On froisse le drapeau québécois devant un milliard de téléspectateurs en ouverture des Jeux olympiques.

Même le gouvernement fédéral est outré, sans oublier le commissaire Graham Fraser, qui était déjà très inquiet de la situation en novembre dernier lorsque je lui avais parlé de mes constats à Vancouver.

Les souverainistes n'ont pas su, à ce jour, récupérer à leur avantage la querelle Québec-Ottawa sur l'environnement, mais la langue, c'est leur premier champ d'expertise.

À l'orée du 20e anniversaire de la mort de Meech, il est certainement de bonne guerre que les leaders souverainistes tentent de remobiliser leur base en rappelant ce qui n'a toujours pas été réglé entre le Québec et le reste du Canada.