Depuis le temps qu'il respectait scrupuleusement son devoir de réserve, il faut croire que Lucien Bouchard n'en pouvait plus et qu'il avait vraiment besoin de se vider le coeur!

Combien de fois a-t-on essayé, à La Presse (ça vaut aussi pour les autres médias), d'obtenir une réaction de Lucien Bouchard sur tel ou tel sujet d'actualité depuis son départ de la politique, en 2001? La réponse a toujours été un respectueux «non, merci».

Cela rend sa sortie de mardi encore plus percutante.

Vengeance? Règlement de comptes? Calcul politique?

La frustration est une piste probable. Frustration de voir son ancien parti ridiculiser son frère, le sociologue Gérard Bouchard (que Pauline Marois a traité d'Elvis Gratton). Frustration de voir son ancien parti tourner en rond et emprunter les voies faciles du populisme ouvertes par l'ADQ et libres depuis la quasi disparition de cette dernière.

Frustration, encore, de voir le PQ continuer de parler d'un projet irréalisable au lieu d'attaquer de front les problèmes d'éducation, de financement du système de santé et d'économie en général. Ici, c'est Lucide Bouchard qui s'en prend à son ancien parti.

De vieilles frustrations, peut-être aussi, qui remontent à la surface, presque 10 ans après son départ. La relation entre Lucien Bouchard et le Parti québécois n'a jamais été facile. Elle a plutôt mal fini, les purs et durs accusant M. Bouchard de ne pas être un «vrai» et les orthodoxes de la langue le poussant dans ses derniers retranchements.

La rupture a été concrétisée hier, alors que les ténors souverainistes faisaient la queue pour taper sur Lucien Bouchard.

Sans surprise, il a donc été excommunié par Bernard Landry. Sans surprise, d'autres souverainistes l'ont accusé d'être un lâcheur, d'être devenu l'allié des fédéralistes, d'être défaitiste ou de montrer son véritable visage, celui d'un homme qui n'a jamais cru profondément à la souveraineté du Québec.

Certains ont même rappelé, sournoisement, que Lucien Bouchard a obtenu des contrats du gouvernement Charest (des contrats de médiation ou de négociation) dans les dernières années.

La stupéfaction des souverainistes se comprend aisément, mais affirmer aujourd'hui que M. Bouchard a toujours été un «faux» souverainiste, c'est tout de même oublier que c'est lui, il y a 15 ans, qui a relancé une campagne du OUI exsangue et qui a presque gagné, à lui seul, le référendum.

Dans toute cette séance de défoulement, c'est le député Bernard Drainville qui a résumé le plus dignement la consternation de son parti : «Je le respecte, je l'aime, mais s'il est trop fatigué pour poursuivre la lutte, je lui dis que je vais la poursuivre avec Mme Marois et mes camarades du PQ, pour faire l'indépendance du Québec.»

Après cette intervention remarquée, on a immédiatement classé Lucien Bouchard dans le «club des belles-mères». Le qualificatif ne lui convient pas vraiment. Les belles-mères, Jacques Parizeau ou Bernard Landry dans le cas du PQ, frottent les oreilles de leur famille. Elles la ramènent dans le droit chemin et lui rappellent les valeurs familiales immuables.

Lucien Bouchard a fait plus que cela. Il ne tient pas tant ici le rôle d'une belle-mère que celui d'un ancien conjoint qui dit brutalement à son ex de lâcher prise, de décrocher, de passer à autre chose, de trouver un nouveau sens à sa vie. Au passage, il égratigne aussi son discours et ses positions sociales «radicales».

Ce qui fait mal dans cette sortie, c'est que Lucien Bouchard dit tout haut ce que bien des Québécois, y compris d'anciens souverainistes, pensent tout bas : la souveraineté, c'était un beau rêve, mais on n'y arrivera pas. Tant pis, passons à autre chose plutôt que de rester paralysés par cette obsession.

Ce que Lucien Bouchard dit, c'est qu'on ne peut pas bâtir le Québec sur un but inatteignable, que nous avons besoin d'un nouveau projet mobilisateur accessible. Faites le test dans votre entourage : combien de gens pensent exactement cela?

Évidemment, il n'est jamais agréable de se faire ramener les pieds sur terre aussi brutalement, mais le moment est particulièrement douloureux pour Pauline Marois, qui essaye justement ces temps-ci de relancer l'option en démontrant que le Québec serait mieux servi en dehors du «carcan» fédéral.

Lucien Bouchard vient de dire que cet objectif est irréaliste et inaccessible - un cadeau somptueux pour Jean Charest.

En plus, le PQ avait repéré, en ce début de session, de belles ouvertures dans la «trappe» de Jean Charest : les écoles juives, le manque de français à Vancouver, l'attribution des places de garderie... Tout cela a été éclipsé, du moins temporairement, par la sortie de M. Bouchard.

De là à penser que Lucien Bouchard a agi sciemment, de façon calculée, pour se venger et peut-être même pour mettre la table d'un retour en politique dans un nouveau parti, il faudra d'abord voir si les lucides ou l'aile droite déçue du PQ se manifestent dans la foulée de cette sortie percutante.

Chose certaine, Lucien Bouchard vient de démontrer que, à 71 ans bien sonnés, il est encore une force politique avec laquelle il faut compter au Québec.