La percutante sortie de Lucien Bouchard, on l'a répété ad nauseam depuis trois jours, a eu l'effet d'une bombe au Parti québécois.

La déflagration et ses dégâts immédiats cachent toutefois une autre réalité lancinante de la politique québécoise: si on cherche un nouveau guide, une nouvelle voie, ce n'est pas seulement à cause du désenchantement de certains souverainistes ou adéquistes, c'est aussi parce que le Parti libéral du Québec est incapable de se renouveler et de générer des idées fortes depuis des années.

Lucien Bouchard reproche au PQ de s'accrocher à la quête de la souveraineté au détriment des priorités urgentes (économie, création d'emplois, éducation). La critique vise d'abord les péquistes, mais elle pourrait tout aussi bien s'adresser aux libéraux, qui ne démontrent pas non plus un grand empressement à affronter les priorités urgentes.

Le constat de Lucien Bouchard est dur pour le Parti québécois parce qu'il remet en question sa raison d'être, sa pertinence. Mais le fait est que le PLQ n'arrive pas à attirer les acteurs du changement ni à proposer un plan cohérent et ambitieux pour le Québec. D'où cette perpétuelle recherche (cet espoir, même) d'une troisième voie.

Historiquement, le PLQ a su jouer ce rôle, notamment comme vecteur de la Révolution tranquille, comme bâtisseur de barrages et comme porte-parole des aspirations nationales des Québécois sur la scène politique canadienne.

Tous les partis politiques sont en pénurie de relève et de leadership fort. Cela est particulièrement criant au PLQ, un parti devenu «gestionnaire» du Québec, un parti qui dirige comme on gère une petite entreprise pépère. Sans faire de vagues, sans grands projets, sans grandes ambitions.

En outre, l'incapacité chronique du PLQ à gérer les dossiers identitaire et linguistique pousse aussi certains électeurs à chercher ailleurs une solution.

La relève au Parti libéral est, au mieux, extrêmement discrète et, au pire, inexistante, si ce n'est quelques ministres ambitieux et carriéristes qui attendent dans l'ombre le départ de leur chef actuel. On ne sent pas les débats - au contraire, on a l'impression que le parti les fuit. Prenez la question des accommodements raisonnables et le «tablettage» de première classe du rapport BT. Ça ronronne dans les banquettes libérales.

Jean Charest, quant à lui, a démontré depuis quelques années un grand enthousiasme pour les affaires internationales, en particulier avec son projet de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne ou les ententes avec la France. On ne sent toutefois pas le même élan du premier ministre au Québec.

Il est possible que les initiatives de Jean Charest à l'international soient un jour saluées comme des gestes précurseurs audacieux. Mais pour le moment, le PLQ n'arrive pas à satisfaire l'élite politique et économique, qui attend impatiemment les premiers signes des changements nécessaires pour assurer, notamment, la pérennité de nos services publics et pour encourager la croissance économique.

Qu'un Lucien Bouchard tourne le dos au mouvement souverainiste, c'est évidemment une mauvaise nouvelle pour le Parti québécois. Mais le fait que les libéraux soient incapables d'attirer les péquistes et les adéquistes errants ou même de se montrer accueillants envers eux révèle aussi une grande faiblesse.

La nature ayant horreur du vide, on cherche ailleurs.

Les «lucides» n'avaient certainement pas raison en tout dans leur manifeste, mais ils ont eu le mérite de sonner l'alarme et de proposer des solutions.

Peuvent-ils (veulent-ils?) transformer leurs idées et leur frustration en parti politique? Possible. Pour parler le jargon du hockey, les «lucides» (et tous ceux à qui on les associe parfois) ont de quoi former deux ou trois bons trios avec les Lucien Bouchard, Joseph Facal, François Legault, Philippe Couillard, Jacques Ménard, Éric Caire... Qui sait, peut-être même Mario Dumont, dont la carrière télévisuelle n'est pas, disons, à la hauteur de sa carrière politique.

L'idée séduira probablement un certain nombre de Québécois, notamment par sa nouveauté, mais bien des questions se dressent entre la théorie et la pratique.

Par exemple, qui dirigerait ce parti? Lucien Bouchard? Créer un parti n'est pas une mince tâche. M. Bouchard semble en parfaite santé (en tout cas, il n'a rien perdu de sa fougue) mais à 71 ans, a-t-il vraiment envie de se lancer dans une telle aventure?

Et les Facal, Legault, Couillard et autres, sont-ils vraiment prêts à se jeter dans la marmite ou aiment-ils seulement l'idée de rester en réserve? La plupart de ces ex sont des grands brûlés de la politique et, même s'ils gardent une passion pour la chose publique, ils savourent tous le retour à la vie civile.

Autre question: où situer ce parti dans le paysage politique québécois? Centre droit et autonomiste? L'ADQ s'est risquée sur ce terrain (fort maladroitement, il faut l'admettre) et s'est cassé la gueule.

Un nouveau parti mi-souverainiste, mi-fédéraliste et penchant à droite ne diviserait-il pas le vote, assurant des années d'instabilité et de gouvernements minoritaires?

Dernière question - peut-être, au fond, la seule qui compte: les électeurs, au-delà de deux ou trois sondages, sont-ils VRAIMENT prêts à voter pour un parti qui leur dirait les «vraies affaires» (fiscales, notamment) et qui leur proposerait des remèdes désagréables pour guérir les bobos du Québec, petits et gros?

Ce serait une première. Et cela n'arrivera probablement pas.