Rappelez-vous, c'était hier. Perclus de poursuites, congédié de toutes les radios, inassurable, André Arthur avait sombré dans la politique fédérale.

On croyait la bête médiatique atteinte mortellement. La voici qui sort la tête à TQS. La même semaine, la Cour d'appel lui donne raison dans une vieille cause. 

Commençons par TQS. C'est, j'imagine, ce que les frères Rémillard appelaient ce printemps «l'information redéfinie». Ou encore «l'information axée sur l'analyse de l'actualité»: André Arthur ne se contente pas de faire des commentaires. Monsieur le député de Portneuf fait des entrevues politiques. Oui, madame, il a tous les talents. Il conduit des autobus en plus et si ça se trouve, il joue de la flûte traversière.

À sa première émission, il a interviewé l'ancien ministre conservateur Maxime Bernier et a demandé une entrevue à une députée bloquiste, qui a eu la bonne idée de ne pas accepter.

«C'est un député indépendant», a fait valoir un porte-parole de la station. Indépendant, certes, mais il a voté tellement systématiquement avec les conservateurs que les Bleus ne lui ont opposé aucun candidat. Josée Verner, sûre de sa majorité, est même allée voter dans Portneuf pour l'aider.

Réaction du président de la Fédération professionnelle des journalistes, mon estimé collègue François Bourque, en quelques phrases: André Arthur a le droit d'être en ondes. Le but de la FPJQ n'est pas d'empêcher qui que ce soit d'embaucher des gens pour s'exprimer sur la place publique. Cela dit, ça ne remplit pas la promesse de TQS de faire de l'information. Mais Arthur n'est pas un journaliste.

Arthur, voyez-vous, s'est toujours défini comme «un animateur qui travaille avec des outils de journaliste».

J'avoue qu'après un massacre à la tronçonneuse, il n'est pas pertinent d'appeler le président de la fédération des bûcherons: le gars travaille avec des outils de bûcheron, mais ça ne suffit pas pour avoir une carte de membre.

Mais j'aimerais que ma fédération prenne quelques minutes pour au moins dire que de voir un politicien jouer à l'intervieweur complaisamment avec un allié politique est obscène, surtout quand le reste de l'information a pris le bord. Qu'il soit ou non journaliste ne change rien : un diffuseur laisse jouer au journaliste un politicien conservateur déguisé en indépendant. Si la FPJQ ne dénonce pas fortement TQS, si elle ne la rappelle pas à un minimum de décence, au moins sur ce principe élémentaire, qui le fera?

La diffamation de groupe

Mais pour avoir «le droit», André Arthur l'a. Pas de doute. Comme l'a dit le juge Ian Binnie pour la Cour suprême l'été dernier dans un jugement historique: «Nous vivons dans un pays libre où il est permis d'énoncer des opinions outrancières et ridicules tout autant que des vues modérées.»

Un droit dont ne s'est jamais privé AA. Notamment en 1998, quand ce résidant de la belle ville de Québec s'était mis à déblatérer contre les chauffeurs de taxi «arabes et haïtiens», disant qu'ils ne parlent pas français, que leurs taxis sont sales et autres mensonges racistes.

Un chauffeur de taxi arabe a intenté un recours collectif au nom de tous les chauffeurs arabes ou haïtiens d'origine, c'est-à-dire environ 1100 personnes, pour atteinte à leur réputation.

Depuis toujours les tribunaux ont dit que quand on attaque la réputation d'un groupe, les membres de ce groupe n'ont pas de recours, à moins de prouver une atteinte personnelle. Ainsi, pour prendre un exemple célèbre, une poursuite de jeunes chrétiens contre le Théâtre du Nouveau Monde pour atteinte à leur dignité de catholique a été rejetée au moment de la présentation de la pièce Les fées ont soif, il y a 30 ans : ils n'étaient pas différents des autres catholiques.

De même, une femme ne pourrait pas poursuivre un animateur de radio qui parlerait contre «les femmes» ou «les femmes dentistes». La diffamation est répartie, divisée entre tant de gens qu'à la fin elle se perd, a-t-on coutume de dire.

On avait donc été fort étonné de voir, d'abord, que le recours collectif avait été autorisé. Le recours collectif ne crée pas de droit nouveau, il ne fait que faciliter les poursuites quand trop de gens sont impliqués. Mais justement, si trop de gens sont impliqués... le recours devrait échouer.

À la fin d'une série de jugements et appels, la Cour supérieure avait condamné Arthur et son employeur à verser 200 $ par chauffeur, donc 220 000 $, plus intérêts.

La Cour d'appel, sous la plume de la juge Marie-France Bich (mais à deux juges contre un), vient de casser ce jugement, et c'est tant mieux. Il est certes tentant de punir Arthur pour l'ensemble de son oeuvre, sinon pour ces propos particulièrement imbéciles. Mais on était en train de créer un nouveau droit qui pouvait éloigner des médias toute personne le moindrement controversée, même pour contester ses prises de position, de peur d'un coûteux recours collectif - comme celui entrepris contre Radio-Canada et le doc Mailloux.

Personne n'a pu démontrer une atteinte personnelle à la réputation de tous les chauffeurs, même si plusieurs ont été outrés à juste titre.

«Ce n'est pas en élargissant le concept juridique de la diffamation (...) que l'on peut lutter le plus efficacement contre les propos racistes», d'autant que la liberté d'expression est en jeu, écrit la juge Bich. S'il fallait éliminer tout propos «désagréable ou offensant à l'endroit d'une collectivité», c'est un pan de cette liberté qui disparaîtrait.

Parfaitement d'accord. Même si ça s'applique au député de Portneuf.