Pour dire les choses simplement, je n'ai pas souvent été aussi fier d'être un humain.

Les problèmes du monde restent entiers ce matin, mais l'espoir a un visage inédit. Un visage pour le prochain siècle.

Si l'histoire de Barack Obama «n'était possible qu'aux États-Unis», comme il dit, elle n'était pensable qu'aujourd'hui - et encore.

Car Barack Obama n'est pas seulement le premier président afro-américain. C'est aussi un homme emblématique du siècle qui commence. Siècle de mélanges et de métissages.

Ce n'est pas seulement que son père ait été un Kényan. C'est aussi cette conscience internationale. Une conscience intime, pour ainsi dire, puisque de 6 à 10 ans, il a vécu dans un pays (très) étranger, l'Indonésie, avec sa mère et son deuxième mari.

Grâce à sa mère et à cet homme, Lolo Soetoro, il n'a pas vécu cette expérience dans une cloche de verre. Il a eu une vie indonésienne entre 1967 et 1971. Soetoro était un musulman assez libéral, imprégné de notions d'hindouisme et d'animisme, ce qui change légèrement de la dominante chrétienne américaine, quelle qu'en soit la dénomination.

Dans son premier livre, les Rêves de mon père, écrit en 1995, Obama dit que sa mère, contrairement à d'autres parents d'Américains de l'époque, plutôt que de le tenir à l'écart, a favorisé son intégration à la culture indonésienne.

«Grâce à son éducation, je considérais avec dédain le mélange d'ignorance et d'arrogance qui caractérise trop souvent les Américains à l'étranger», écrit-il.

Il décrit aussi cette scène où Lolo, géologue employé par Mobil Oil, demande à sa mère de l'accompagner à un dîner où il doit rencontrer des hommes d'affaires du Texas et de Louisiane. Des gens qui se vantaient «de toutes les pattes qu'ils avaient graissées pour obtenir de nouveaux droits de forage». Sa mère n'était pas du tout intéressée par ce dîner. Mais enfin, dit Lolo, ce sont des gens de ton peuple.

«Ce n'est pas mon peuple!» répliqua-t-elle.

Ne parlons même pas de George Bush, dont la famille aurait pu se retrouver à ce dîner, mais de l'autre côté. Notons simplement que ce n'est pas le genre de citations maternelles de bon ton dans une biographie classique de futur candidat à la présidence américaine - mais c'était le premier rédacteur en chef noir de la revue de droit de Harvard qui parlait, à l'époque.

Ce bagage à lui seul place Obama dans une catégorie tout à fait nouvelle chez les présidents américains. D'autres avaient une connaissance du monde et des affaires internationales à différents titres, évidemment : ils avaient étudié, fait la guerre, voyagé. Mais aucun n'a vécu ce genre de vie, aucun n'a eu ce passé métissé, atypique, ces références multiples et cette intégration dans une culture aussi exotique - du moins vu d'Amérique.

Un genre de vie qui est celle de millions d'enfants occidentaux, et qui sera de moins en moins exceptionnelle dans ce siècle qui commence.

Ce passé du nouveau président américain produit immédiatement deux effets. D'abord, pour le président des États-Unis. On peut penser que c'est de nature à fabriquer une conscience planétaire, une sensibilité internationale et une vision plus sophistiquée du monde, certainement moins manichéenne. Plus d'intelligence dans les relations internationales américaines ne fera sûrement pas de tort.

Les intérêts nationaux dictent toujours la politique étrangère d'un État, et ce sera le cas pour Obama comme pour tous les autres. Mais il y a beaucoup à réparer entre les États-Unis et le reste du monde, et il y faudra du talent.

George Bush était célèbre pour son ignorance du monde en dehors des États-Unis. Avant d'être président, il ne s'était aventuré en dehors de son pays que pour aller de l'autre côté de la frontière du Texas, au Mexique. Ses gaffes sont légendaires. Il a appelé les Grecs les «Gréciens», les Kosovars les «Kosoviens» et, quand il était gouverneur, il croyait avoir rencontré le ministre des Affaires étrangères de la Slovaquie, alors que c'était le premier ministre de... Slovénie.

Est-ce un hasard complet si les années Bush ont été celles d'un isolationnisme, du mépris des institutions internationales, du mauvais jugement, des actions unilatérales, de la réécriture des traités internationaux, et d'une guerre désastreuse (à laquelle ont participé des leaders censément éclairés, il est vrai)?

L'autre effet de cette expérience extra-américaine d'Obama est le regard que le monde lui-même portera sur les États-Unis à compter d'aujourd'hui. Le terrorisme ne ralentira pas ses ardeurs antiaméricaines et les hostilités ne cesseront pas.

Mais dans plusieurs coins du monde où l'on n'espérait plus rien de bon, ce président improbable, sans précédent, est l'espoir de voir les États-Unis devenir une force positive dans le monde. Ce matin, en tout cas, j'y crois.