La cause de Lola et Éric a pris fin jeudi dernier et, au risque de dégonfler le ballon médiatique, je vais vous faire une petite prédiction: Lola va perdre sur toute la ligne.

Certes, au football comme à la Cour, on peut avoir des surprises. Mais je serais le plus étonné des hommes si la juge Carole Hallée décidait d'aller marier un million de personnes qui ne l'ont pas demandé...

Car c'est le nombre de conjoints qui vivent en union de fait au Québec. Plusieurs de ceux-là n'ont aucune idée des conséquences juridiques de ce choix. Certains en subiront d'amères conséquences en cas de décès d'un conjoint ou de séparation. En particulier les enfants, dont la majorité naissent maintenant dans de telles familles.

Mais ce n'est pas la Cour supérieure, je vous l'annonce, qui viendra modifier un choix social aussi immense. C'est l'Assemblée nationale qui en décidera, si jamais le Québec devait adopter le modèle du reste du Canada: généralement, après trois ans d'union de fait, les conjoints ont des obligations alimentaires réciproques, après un an s'ils ont un enfant.

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Je peux me tromper, bien entendu, mais à mon avis, l'avocate Anne-France Goldwater le sait très bien - tout en croyant au bien-fondé de sa cause.

Ce n'est pas pour rien qu'elle s'est répandue dans les médias. Les chances de succès d'une affaire judiciaire sont inversement proportionnelles aux sparages médiatiques de l'avocat qui la plaide. Ça vous donne une idée...

Ce n'est pas pour rien non plus que Me Goldwater a fait cette requête passée inaperçue l'an dernier: elle demandait que la cause soit considérée comme une affaire constitutionnelle ordinaire plutôt que comme une affaire familiale. Cela aurait permis de nommer les conjoints. La Cour supérieure a refusé, et Lola s'est rendue en Cour d'appel pour obtenir le changement de statut technique de la cause.

Le but évident de cette démarche est de rendre publique l'identité d'Éric, a opiné le juge Allan Hilton en rejetant l'appel.

Et pourquoi donc rendre publique son identité? Le Québec est aussi un des rares endroits en Amérique du Nord où les noms des parties dans les affaires familiales sont secrets. Le but est de protéger la vie privée des familles. René Lévesque avait été sensibilisé personnellement à ce problème pendant son propre divorce et peut-être cela n'avait-il pas nui à faire adopter la règle de l'anonymat il y a une trentaine d'années.

Depuis, donc, les audiences se déroulent à huis clos, avec cette exception: les journalistes peuvent accéder à la salle d'audience à la condition de ne publier aucune information qui permettrait d'identifier les parties.

Une interdiction aussi vaste est probablement inconstitutionnelle. On peut imaginer des cas où il serait d'intérêt public de connaître l'identité des parties, par exemple s'il ressortait dans une affaire de divorce qu'un politicien bat sa femme. Mais en attendant, c'est la règle.

Je reviens donc à ma question: pourquoi tenter de rendre public le vrai nom d'Éric? Peut-être pour faire pression sur lui afin de favoriser un règlement, vu qu'on n'allait pas manquer d'étaler de croustillants morceaux de sa vie privée...

Faute de le faire nommer en toutes lettres, Me Goldwater a réussi à exposer suffisamment de faits pour que les amateurs de devinettes mondaines sachent de qui on parle. Les causes constitutionnelles ne doivent pas se décider dans un vide factuel: il faut donc donner un peu de contexte. Mais on a certainement dépassé le minimum requis dans cet étalage inutile de la vie des gens ultrariches. La stratégie a porté ses fruits.

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Comme Lola n'a droit à aucune pension alimentaire personnelle, elle demande que les articles du Code civil soient déclarés nuls parce que discriminatoires et donc contraires à la Charte des droits. Ou alors que la Cour ordonne une interprétation large de la loi pour faire en sorte que les conjoints de fait jouissent des mêmes droits que les gens mariés.

Elle veut que «l'ensemble de ces règles (sur le mariage) s'étende à tous les conjoints qui partagent un projet de vie à long terme».

Un des problèmes de Lola est que la Cour suprême, en 2002, a clairement dit que la différence de traitement entre conjoints de fait et gens mariés n'était pas discriminatoire. Même si la cause émanait de la Nouvelle-Écosse, les principes sont similaires. La majorité de la Cour a alors insisté sur la liberté de chacun de choisir le régime qui lui convient.

On voit mal comment on arriverait à une conclusion opposée aujourd'hui.

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Cela ne règle pas la question de fond: faut-il mieux protéger les familles, dont un nombre impressionnant ignore totalement l'impact juridique de ce choix? J'aurais tendance à dire oui dans les cas où il y a des enfants.

Car enfin, s'il existe un hypothétique recours pour «enrichissement injustifié», une femme (ce sont surtout des femmes) non mariée qui choisit de rester à la maison se retrouve devant un grand vide en cas de séparation. On lui reprochera ensuite de vivre à même la pension des enfants, comme si elle était une profiteuse.

Je ris un peu, aussi, quand je lis que monsieur a toujours été philosophiquement contre le mariage... notamment parce qu'il avait beaucoup travaillé pour bâtir son entreprise et qu'il «ne voulait pas la mettre en péril» en étant éventuellement retenu en Cour. En voilà un qui, nonobstant la philosophie, savait compter.

Mais à la fin, ce ne sera pas aux tribunaux de modifier aussi radicalement la vie familiale au Québec.

Mais comme Lola a des ressources juridiques illimitées grâce à un autre ami richissime, on risque d'en entendre parler encore quelques années. Ce qui est gratuit est généralement surconsommé, comme chacun sait.

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