Drôle de lundi. À midi, l'ancien PDG de la Caisse de dépôt dit prendre «l'entière responsabilité» mais sans douleur et sans conséquence. À la sortie des bureaux, Guy Carbonneau est congédié pour des résultats qui ne sont sûrement pas de son entière responsabilité.

La loi du sport a le mérite d'être claire. Elle n'est pas plus juste pour autant. Mais elle est incontestable: gagne ou crève.

 

S'il avait été dirigeant de la Caisse de dépôt, Guy Carbonneau se serait amené hier au dîner de la chambre de commerce, avec force tableaux et graphiques. Le tout destiné à démontrer que tout ce qui s'est passé de désagréable dans son club de hockey n'est pas de sa faute. Pratiques courantes établies bien avant lui, décisions de prédécesseurs et concours de circonstances. Rien de plus.

Ainsi, messieurs-dames de la chambre de commerce, le joueur le plus productif du Canadien, Robert Lang (0,78 point par match), est blessé depuis le 1er février. C'est comme par hasard à peu près le commencement des difficultés du club.

Si ce n'était que ça: Alex Tanguay (0,75) a manqué 30 parties sur 66. Le capitaine Saku Koivu (0,73) a manqué le quart des parties.

Messieurs-dames de la chambre de commerce, je vous le demande: quel club au monde peut se passer de trois de ses cinq meilleurs attaquants? Et qui aurait pu prévoir cela?

Les gens de la chambre de commerce auraient dit: ben oui, funeste coup du sort. Parfaite tempête!

Il aurait insisté sur le fait que le club est tout de même en cinquième position: un des meilleurs au monde, en somme. N'allons pas isoler les six dernières semaines, catastrophiques et déficitaires: étalons notre analyse sur une période plus longue. Peut-être aurait-il même fait valoir les 24 coupes Stanley du club. On est moins mauvais qu'on ne le dit dans les journaux, vous voyez bien!

Certes, aurait-il ajouté, je tiens ici à prendre l'entière responsabilité pour ce qui a pu vous décevoir récemment: c'est moi l'entraîneur.

Mais bon, ce n'est qu'en principe que je suis responsable. En vérité, je viens de vous démontrer de manière détaillée que je n'ai rien fait de mal.

Car enfin, mesdames et messieurs, je vous le demande: qu'eussiez-vous voulu que je fisse?

Maudite question. Et dans l'assistance, un vent de sympathie serait monté: chacun dans l'assemblée est lui-même plus ou moins gestionnaire de gens ou de dollars et se débat aussi dans la tempête. Ils partagent la souffrance du PDG plus que le retraité moyen. Ils comprennent!

Et personne n'aurait songé à demander à Guy Carbonneau pourquoi il avait quitté son poste juste avant la tempête, pour un meilleur emploi, avec la compensation prévue à son contrat.

Je ne suis pas en train de vous dire que Henri-Paul Rousseau mérite d'être dépouillé ni même vilipendé. Je l'ai écouté hier et il m'a semblé, à moi simple cotisant, parfaitement honnête dans ses explications, sérieux dans son analyse, compétent dans sa gestion.

Simplement, que veut dire «prendre l'entière responsabilité» dans un contexte pareil? C'est une phrase vide de sens parce qu'elle n'a aucune conséquence dans la vie réelle, en tout cas pas dans celle de M. Rousseau. Chacun comprend que la responsabilité, en vérité, est diffuse. Où était le conseil d'administration? Le comité de vérification? Les gestionnaires? Et tous ces gens, analystes, observateurs, qui nous expliquent après coup que toutes les pertes de la Caisse étaient parfaitement prévisibles, auraient dû l'être, etc. Pourquoi ne nous l'ont-ils pas dit, en 2006, 2007, etc.? Je n'étais pas au courant. L'étiez-vous?

Bref, la Caisse est coupable d'avoir trop investi dans les PCAA. Mais bien d'autres ont eu cette imprudence. Il y en a même un peu partout dans le monde, et pas des moindres, qui ont placé de l'argent chez Madoff, c'est dire...

Le citoyen se retrouve néanmoins devant un gâchis et personne à punir. Et le sentiment que celui qui dit prendre l'entière responsabilité s'en tire beaucoup trop bien. Voilà ce qui fait désordre. Ce divorce entre le résultat et les conséquences pour les décideurs. Il manque une morale à cette histoire de finance.

Les histoires de sport ne sont pas plus justes pour autant, puisqu'hier on a puni un homme qui pouvait se défendre au moins aussi bien que le PDG de la Caisse de dépôt. Il n'est pas à blâmer plus que son patron ou ses joueurs, au fond.

Mais ça prend quelqu'un pour avaler le déluge. Car quelque chose doit être fait, quelqu'un doit payer de sa personne.

Cette justice-là, celle du sport, n'est pas plus juste. Elle est sans pitié et sans nuances. Mais elle est claire et simple et, à sa manière, satisfaisante.

Peut-être au fond le sport a-t-il été inventé pour ça. Pour mimer une sorte de morale que la vie ne procure pas. Pour absorber le trop-plein des colères de la vraie vie et les transvider dans un monde sans conséquence...

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca