Cette histoire de compteurs d'eau n'est pas limpide. Le maire de Montréal ne s'en tirera pas avec un point de presse à la va-vite.

La loi donne au maire le pouvoir d'enquêter sur l'administration municipale. Il est le gardien de l'intégrité à la Ville. S'il est un tout petit peu sérieux, le maire demandera une enquête sur l'octroi de ce contrat, le plus important de l'histoire de la Ville: 355 millions.

La concurrence a-t-elle été loyale? Les Montréalais, qui semblent payer plus cher que partout ailleurs au Canada pour leurs compteurs d'eau, en ont-ils pour leur argent? Quel a été le rôle de Frank Zampino dans l'octroi de ce contrat?

Ces questions graves se posent et le maire doit y trouver des réponses satisfaisantes. En ce moment, les apparences ne permettent pas de s'en remettre béatement à la déclaration de convenance voulant que «l'appel d'offres a été fait selon les règles». Au contraire, tout porte à en douter. Le maire Tremblay doit dissiper ce doute.

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Deux semaines après m'avoir dit que c'était du domaine privé, Frank Zampino a reconnu publiquement jeudi qu'il a fait deux séjours sur le yacht de luxe de l'entrepreneur Tony Accurso, en 2007 et en 2008. Transparence tardive et rétive, mais c'est mieux que rien.

Le problème de MM. Zampino et Tremblay est que d'autres questions se posent.

À cette époque, M. Zampino était président du comité exécutif de la Ville. L'élu le plus important et le plus puissant après le maire.

À cette époque, Montréal venait d'octroyer le contrat de 355 millions pour l'installation de 33 000 compteurs d'eau dans les commerces, institutions et industries, plus des travaux d'aqueduc et la gestion du système.

Le consortium qui a remporté l'appel d'offres s'appelle GéniEAU. Il est formé notamment de Simard-Beaudry, firme de construction de M. Accurso. Et de Dessau, société de génie conseil.

M. Zampino a quitté la Ville l'été dernier et, quelques mois plus tard, ô surprise et stupéfaction, le voici vice-président de Dessau. Cette même firme qui a décroché le gros lot dans l'affaire des compteurs d'eau.

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Je suis allé voir Jean-Claude Lauret, de la firme Master Meter Canada, qui était cité dans La Presse de samedi. Pour cet expert en compteurs d'eau, qui en a installé partout au Canada, le projet montréalais est ridiculement cher.

Pour 219 millions, Toronto en installe 72 000. Chaque projet est différent et les compteurs ne sont qu'une partie du coût, mais, pour cet expert, la facture est nettement exagérée à Montréal.

M. Lauret m'a fourni une analyse détaillée des coûts. Il sait de quoi il parle: il en a fait ailleurs, et il a fait des essais à Montréal, au fait. Son analyse prévoit de généreuses réserves pour des imprévus, un remplacement des compteurs au bout de 15 ans, l'entretien et la réparation pendant toute cette durée. Le contrat montréalais prévoit aussi un système de contrôle de l'eau sur 25 ans. Malgré cela, en ajoutant les frais estimés pour les autres parties du projet, M. Laurent en arrive à un grand maximum de 200 millions.

Peut-on faire ces comparaisons? Peut-être la comparaison est-elle boiteuse. Mais le problème est soulevé par quelqu'un qui connaît des projets de compteurs au Québec, en Ontario, en Alberta et ailleurs.

Si j'étais Gérald Tremblay, ça m'agacerait légèrement...

Le maire doit faire évaluer ce contrat et nous convaincre, détails à l'appui, que tout est normal, que ce contrat est énorme pour de bonnes raisons, que GéniEAU l'a mérité, qu'un tour de bateau n'est qu'un tour de bateau, que le changement de carrière de M. Zampino n'est qu'un changement de carrière, pas une récompense.

On en est là, monsieur le maire. Dans la brume un peu glauque du doute. Vous avez ce matin le fardeau de la preuve. Le fardeau de remettre les compteurs à zéro. Parce que la crédibilité de l'administration est dans le rouge.