C'est la première fois que je me félicite d'une de mes erreurs. Car cette erreur a permis de faire éclater au grand jour l'incompétence crasse de la Ville de Montréal dans le dossier des compteurs d'eau.

Ce n'est pas rassurant, mesdames et messieurs. Il y a deux semaines, Gérald Tremblay ne savait pas que l'ex-président du comité exécutif, Frank Zampino, copinait avec l'entrepreneur Tony Accurso. Lundi, il ne savait pas qu'il payait trop cher pour ses compteurs. Et hier, il suspendait tout le projet. Qu'est-ce qui nous attend la semaine prochaine?

 

Je reviens à mon erreur et à ce qu'elle a permis d'illustrer magistralement, même si c'est par accident.

Lundi, j'écrivais que la Ville de Toronto s'apprête à octroyer un contrat de 219 millions pour l'installation de 72 000 nouveaux compteurs d'eau.

Or, c'est 465 000 compteurs qui seront installés à Toronto... en commençant par les 72 000 adresses qui n'ont pas encore de compteur! Car en effet, la plupart des résidences et commerces de Toronto sont déjà équipés de compteurs. Mais les adresses qui en ont déjà auront aussi un nouveau compteur. D'où mon erreur.

Pendant ce temps, on installe à Montréal 32 000 compteurs, mais uniquement dans les industries, les institutions et les commerces. Le consortium GÉNIeau, qui a obtenu un contrat global de gestion de l'eau pour 355 millions, facture à la Ville 107 millions pour cette partie du contrat.

Dans ma chronique de lundi, je citais l'opinion de l'expert en compteurs Jean-Claude Lauret, selon qui la Ville paie beaucoup trop cher pour les compteurs et pour tout le reste.

Depuis deux semaines, le malaise est énorme à l'hôtel de ville. On apprend pour les tours de bateau de Frank Zampino sur le yacht de Tony Accurso, propriétaire de la firme Simard-Beaudry, partenaire de GÉNIeau. On sait que M. Zampino est maintenant VP chez Dessau, autre firme partie à GÉNIeau.

Mais lundi, on est passé du malaise à la panique. On a convoqué en catastrophe une conférence de presse pour répondre aux affirmations de M. Lauret dans ma chronique et dans un texte d'André Noël, samedi.

Sans rien vérifier, donc, on a précipité sur une estrade le pauvre directeur adjoint Gilles Robillard, flanqué d'un représentant de BPR et de deux autres personnes.

Tout est absolument normal, de dire M. Robillard. Le calcul est simple: 219 millions divisés par 72 000 compteurs (à Toronto), cela fait 3041$ par compteur. Tandis que 107 millions divisés par 32 000 compteurs (à Montréal), cela fait 3344$ par compteur. Donc c'est à peu près le même prix, et comme Montréal est nouveau dans le domaine, la chose est facilement justifiable.

Ils ne savaient pas qu'ils avaient le mauvais chiffre. C'est donc dire que ni la Ville, ni BPR, qui a conçu l'appel d'offres, n'étaient au courant de la situation à Toronto, la seule ville à peu près comparable à Montréal au Canada! Or, c'est BPR qui a construit l'appel d'offres, c'est cette firme qui conseille la Ville et qui surveillera les travaux! Wow, ils connaissent leur affaire!

En passant, 219 millions divisés par 465 000 compteurs, cela fait... 471$ par compteur!

Ces gens sont des blagueurs, mesdames et messieurs. Ils nous disent n'importe quoi. Au fait, où étaient les gens qui ont obtenu le contrat, les Dessau, Simard-Beaudry? Aux abonnés absents. Ce n'est pas rassurant davantage.

Et à la lumière des commentaires d'un des meilleurs experts au Canada là-dessus, il y a lieu de croire qu'ils ne savent pas ce qu'ils font non plus: Michel Chevalier, de la Ville d'Ottawa, cité par André Noël, est assez clair: ce qu'on projette faire est totalement inédit et... peut-être inutilement compliqué et cher.

Bien entendu, les compteurs domestiques ne sont pas comme les compteurs industriels, beaucoup plus chers. On ne peut se contenter de comparer le coût par compteur à Toronto à celui de Montréal. Mais encore faut-il savoir ce qui se passe ailleurs pour faire ces nuances!

De toute manière, encore selon M. Lauret, qui n'a pas été contredit jusqu'à maintenant, et qui en installe partout en Amérique du Nord, l'écart de prix est injustifiable.

Et si, en plus, on remet en question le processus d'appel d'offres, il y a lieu non seulement d'enquêter, mais carrément de suspendre toute l'affaire en attendant, comme l'a ordonné le maire Tremblay hier.

Avec l'affaire de la SHDM, voilà deux dossiers douteux que le maire fait enquêter et annuler en moins de six mois après des enquêtes journalistiques.

Si j'étais Gérald Tremblay, je me poserais des questions sur ceux qui m'entourent et me conseillent. De sérieuses questions.

Il y a des limites à ne rien voir.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca