Si j'avais à choisir entre la justice et ma mère, je choisirais ma mère, disait Camus.

Entre un ordre de la justice et son fils, Guy Lafleur a choisi son fils, et personne n'a le goût de le blâmer.

Après Réjean Tremblay, c'est maintenant Lysiane Gagnon qui monte au créneau pour dénoncer cette terrible injustice. 

Certes, Guy Lafleur est allé reconduire son fils lui-même à l'hôtel, même s'il devait dormir chez lui. Bof. Simple «complicité paternelle, pour assurer à ce garçon un peu d'intimité, pour lui permettre peut-être de consolider une relation susceptible de s'avérer bienfaisante».

La réalité est juste un peu moins cute.

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On est à la fin de l'été 2007. Mark Lafleur a 22 ans. Depuis l'hiver, il est accusé de voies de fait, de menaces de mort et d'agression sexuelle sur son ex-copine. Rien de léger.

La victime est une fille avec qui il a commencé à sortir quand elle avait 14 ans, lui 19. Ils se sont fréquentés près de trois ans. En 2008, Lafleur va s'avouer coupable de 14 des 16 crimes qu'on lui reproche (voies de fait armées, séquestration, menaces de mort...), sauf les agressions sexuelles, pour lesquelles il est acquitté.

À l'été 2007, donc, Mark Lafleur a subi une cure de quatre mois avec succès. Il en entreprend une deuxième, mais on le met à la porte parce qu'il refuse de suivre les règlements de cet «endroit de merde».

Comme il ne respecte pas ses conditions, on l'emprisonne.

Il devait coucher chez ses parents les fins de semaine et respecter un couvre-feu strict. Or, deux fois, Guy Lafleur l'a reconduit à l'hôtel avec sa nouvelle copine, une adolescente de 16 ans.

Vu ce dont il était accusé, vu les conditions strictes de sa mise en liberté, était-ce une bonne idée de «réinsertion sociale» de le reconduire à l'hôtel avec une autre adolescente? Réjean et Lysiane disent oui. Moi, non.

On parle d'un jeune homme qui a de sérieux problèmes de contrôle, qui vient de sortir de thérapie et qui a passé des années à «s'en mettre dans le nez», comme il disait, sans parler d'alcool, de pot, d'ecstasy et j'en passe.

Mais que ce soit une bonne idée ou pas de le reconduire à l'hôtel pour aller voir sa copine de 16 ans, en septembre 2007, le jeune Lafleur est détenu. Pour l'aider à recouvrer sa liberté, le père va témoigner le 19 septembre 2007 et dit à la cour qu'il le reprendra. Il jure qu'il veille sur lui de très près, d'ailleurs, dit-il, il a respecté tous ses couvre-feux et a couché à la maison chaque fois qu'il le devait.

On vient de voir que c'est faux. Bien entendu que ce n'est pas le crime du siècle. Tout aussi clairement, des menteurs s'en tirent tous les jours, sur lesquels on n'enquête pas du tout - devant les cours criminelles et les tribunaux civils, des bandits, des policiers, des maris, des épouses, des gens d'affaires, des experts...

Quelles qu'aient été les intentions du père, il a clairement induit la cour en erreur dans son témoignage. Je trouve assez spectaculaire de lire dans La Presse que l'idée selon laquelle la preuve était claire et que le juge n'avait guère le choix est de la «foutaise».

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Vu les accusations graves qui pesaient contre lui, Mark Lafleur serait demeuré en prison pour toute la durée des procédures s'il n'avait pu bénéficier d'une thérapie. On devine que les conditions sont sévères et la tolérance aux manquements nulle, sinon le jeu est trop facile.

Quand un père met ensuite sa crédibilité dans la balance pour lui obtenir une (autre) deuxième chance, on s'attend à ce qu'il soit sincère.

Évidemment qu'on sympathise avec Guy Lafleur. Peut-être aurais-je fait la même chose que lui.

Mais j'ose espérer que si je l'avais fait, et si je n'avais pas eu la lucidité de voir que c'était une connerie (et l'hôtel, et le témoignage), un ami me l'aurait gentiment signalé.

Au lieu de ça, avocats, journalistes, public, un peu tout le monde s'est transformé en choeur de pleureuses et a renforcé Guy Lafleur dans son sentiment d'injustice. Et allez, Guy, pourquoi pas une poursuite contre le procureur général!

S'il avait moins d'admirateurs béats et plus d'amis, peut-être les choses auraient-elles pu tourner autrement, qui sait.

Mon avis est que cette guimauve de bons sentiments l'a mené tout droit dans le mur judiciaire.

Je répète que je trouve qu'on a été dur avec Guy Lafleur dans un système de justice où on laisse passer des déclarations sous serment grossièrement mensongères sans sourciller.

Mais savez-vous quoi? Les filles impliquées dans ces événements ont aussi des parents qui souffrent et qui ont eu très peur de Mark Lafleur. L'un d'eux s'était muni d'une batte de baseball, au cas où...

Il y a des pères et des mères anonymes qui ont cherché leur fille mineure et qui n'en dormaient pas des nuits entières, ces dernières années, pendant qu'elles étaient avec un jeune homme dont ils avaient de bonnes raisons de s'inquiéter.

J'ai une pensée pour eux, qui n'ont pas trouvé que c'était un péché mignon que ce mensonge judiciaire.

Mais c'est sûr qu'en pensant à eux, ça fait moins scandale, ça fait moins «y a pas de justice», j'avoue.

Rectificatif

Contrairement à ce que j'ai laissé entendre lundi, le criminaliste Jean-Pierre Rancourt ne représente pas Guy Lafleur dans sa poursuite civile de 3,5 millions pour arrestation abusive. Mes excuses.