J'ai bien hâte de voir si l'enquête déclenchée hier par le ministre Jacques Dupuis va nous éclairer au sujet de cette étude tronquée par la RACJ, dont je parlais hier.

En attendant, voici le contexte de sa découverte.

Il y a donc ce recours collectif, au palais de justice de Québec, entrepris par des joueurs compulsifs contre Loto-Québec. Ils se disent victimes des manipulations et incuries de la société d'État et réclament pour tous les joueurs pathologiques des centaines de millions de dollars. Le procès a commencé en septembre 2008 et durera jusqu'à l'automne prochain.

 

Dans le cadre de ce procès, l'avocat des demandeurs, Jean-Paul Michaud, demande à la Régie de fournir à la cour les études sur les loteries vidéo et le jeu compulsif que la RACJ a pu commander.

La RACJ (Régie des alcools, des courses et des jeux) dépose alors une étude signée par trois chercheurs, Yves Boisvert, Yves Bélanger, Harold Vétéré. Le titre: Rapport sur la gestion des appareils de loterie vidéo. Avec le logo du Laboratoire d'éthique publique. On peut voir le logo «copyright» accolé au nom du labo.

C'est donc à la demande de l'avocat que la Régie a déposé ce document. Loto-Québec n'est pas mêlée à ce dépôt, ni aux actes de la Régie, d'ailleurs. Jusque-là, tout va bien.

Peu de temps après, à l'automne 2008, Me Michaud appelle Yves Boisvert pour qu'il vienne témoigner au sujet de «ses» études sur les appareils de loterie vidéo (ALV). Boisvert et les deux autres, plus Élisabeth Papineau, ont en effet publié en 2003 une étude bien connue dans le milieu, qui fait 114 pages. Elle s'intitule La responsabilité de l'État québécois en matière de jeu pathologique: la gestion des appareils de loterie vidéo.

Le hic, c'est qu'il n'y a pas deux études. Boisvert et les trois autres n'en ont fait qu'une, celle de 114 pages, commandée par la RACJ et remise à celle-ci en juillet 2002.

Mais la Régie la trouvait trop critique, trop «éditorialisante», bref, elle ne l'a pas accepté, ce qui est évidemment son droit. L'INRS a lui-même publié l'étude, mais en tenant confidentiel le nom du commanditaire.

D'où venait donc cette deuxième étude? Pas de Boisvert, ni de ses collègues, bien qu'on les présente comme auteurs.

Quelqu'un, quelque part a épuré la première étude de 114 pages et en a fait la deuxième. Le comique de l'affaire est que les épurateurs ont refait la page couverture et le titre, mais ont négligé de changer le titre à l'en-tête des pages, à l'intérieur. Donc, en haut des pages 2 et suivantes, c'est le titre de l'étude originale qui apparaît.

Qu'a-t-on éliminé? Le texte n'a pas été réécrit. On a simplement éliminé 61 pages.

Quoi? Des phrases désagréables sur la dangerosité des ALV, par exemple.

Banal, direz-vous. En effet. Mais dans les 61 pages supprimées de la deuxième étude (la fausse), c'est toute la comparaison internationale et l'analyse de l'économie du jeu qui était présentée. Ex.: «Chaque fois qu'un gouvernement propose de déréglementer le jeu ou de mettre un frein à son expansion, le lobbying de cette industrie est à la hauteur de son efficacité et de ses moyens financiers.»

On y lisait aussi que, selon un employé d'une filiale de Loto-Québec, l'offre de jeu n'atteint pas encore la demande au Québec. On note que plusieurs commerces ne seraient plus viables sans la loterie vidéo. On s'interroge sur la présence de guichets près de ces appareils. On citait des études américaines montrant que plus l'industrie du jeu est implantée depuis longtemps sur un territoire, plus on y retrouve de joueurs à problème. On notait qu'il y a lieu de bien évaluer économiquement les coûts sociaux du jeu au Québec, très réels. Des études américaines montrent qu'entre un quart et un tiers des joueurs disent avoir perdu leur emploi à cause du jeu. Et 60% des joueurs perdent en moyenne sept heures de travail par mois pour jouer, un coût de 1300$ par année par joueur.

Tout cela a été supprimé. Il n'est resté qu'un sondage d'opinion analysé et les recommandations du groupe - sauf celle de renforcer la Régie pour mieux surveiller le jeu et l'industrie.

Si cette étude ne vaut rien (ce qui est difficile à soutenir), on peut encore moins piger dedans les bouts qui font l'affaire du client. Et en tout état de cause, on ne peut pas s'approprier une partie de ce travail sans la permission des auteurs, biffer un nom, faire circuler un document signé par des gens qui ont fait l'original, comme si de rien n'était.

Qui a fait cela? Dans quel but? Pour les fins internes de la Régie, dans le cadre de débats entre ministères? Pour simplement ne pas être officiellement informé? Ou tout simplement parce qu'on y lisait un biais idéologique? Quelle que soit la réponse, c'est illégal à sa face même. Il ne faut pas manquer de culot pour, en plus, inscrire le copyright du laboratoire d'éthique publique (suprême ironie).

On parle d'une société d'État, tout de même.

Et même s'il n'a pas été conçu pour être déposé à la Cour (j'ose espérer que non), quand on est convoqué pour le déposer, la moindre des choses serait de signifier que le document n'est pas authentique - en tout cas, ce n'est pas celui signé par les chercheurs.

Quand il est allé témoigner devant le juge Gratien Duchesne, l'automne dernier à Québec, Boisvert a tout raconté. Il a dit au juge qu'il se sentait «heurté» de voir qu'on avait tronqué son étude et biffé le nom d'une collègue. Le juge, visiblement stupéfait, choqué même, lui a répondu qu'il le trouvait bien poli...

D'accord avec vous, monsieur le juge.

Pour joindre notre chroniqueur yves.boisvert@lapresse.ca