Appelez-moi plutôt Réjean Tremblay, si ça ne vous dérange pas. Je suis un peu embarrassé par mon nom, ce matin.

Le 19 mai, j'ai écrit une chronique intitulée «On a volé Yves Boisvert». Je parlais du prof de l'ENAP, qui porte le même nom que moi. Il m'a déclaré que la Régie des alcools, des courses et des jeux avait tronqué une étude sur les loteries vidéo, étude faite avec trois autres chercheurs.

Il l'avait surtout déclaré sous serment dans un procès en Cour supérieure, le 11 décembre 2008, mais l'information n'était pas sortie.

 

Dès le matin de la parution de l'article, le ministre Jacques Dupuis déclenche une enquête interne. L'enquête n'est pas terminée mais on peut vous dire immédiatement l'essentiel: cette histoire est entièrement fausse.

Non seulement la RACJ n'a rien tronqué du tout, mais c'est Yves Boisvert lui-même qui a modifié la recherche qu'il dirigeait (ou du moins a demandé qu'on le fasse), pour satisfaire la RACJ.

Sauf que seule la recherche entière, de 114 pages, enregistrée à la Bibliothèque nationale, était connue du public. Signée par Yves Bélanger, Élisabeth Papineau, Harold Vétéré et Yves Boisvert, avec la collaboration d'Allison Marchildon. Le titre: La responsabilité de l'État québécois en matière de jeu pathologique: la gestion des appareils de loterie vidéo.

Le rapport avait été commandé par la RACJ au Laboratoire d'éthique publique, dirigé par Boisvert. La RACJ ne l'aimait pas, le trouvait trop peu scientifique, trop plein d'opinions. La RACJ a permis à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) de le publier, mais sans mentionner qui l'avait commandité.

Ce qu'on ignorait, c'est que l'INRS avait accepté d'en faire une version condensée, comme par hasard amputée de passages critiques sur l'économie du jeu et son coût social. Le nom de Mme Papineau avait disparu et le titre était désormais Rapport sur la gestion des appareils de loterie vidéo. Arrangement administratif!

Pour un labo d'éthique, ça ne fait pas chic, mais bon: personne ne l'aurait jamais su s'il n'y avait pas, à Québec, ce procès intenté par des joueurs pathologiques contre Loto-Québec.

L'avocat des joueurs, Jean-Paul Michaud, a demandé à la RACJ (non impliquée dans le procès) de déposer ses rapports sur le sujet. Elle a déposé ce rapport édulcoré en toute bonne foi.

On a appelé le prof Boisvert à témoigner, le 11 décembre. Sous serment, il a déclaré que jamais il n'avait produit ce rapport. Il y avait une odeur de cover up à la cour...

Il n'y a qu'un seul document qui émane de l'INRS, dit Boisvert au juge: c'est le rapport de 114 pages. L'autre est «un document fabriqué». Il se dit «heurté» d'apprendre son existence. Il est «renversé» de voir que le «client» (la RACJ) s'est permis d'enlever le nom de Mme Papineau. C'est «grave», déclare-t-il au juge, car on s'est permis d'écrire «copyright» sur le document «fabriqué». Ce n'est certainement pas une erreur d'inattention, vu ce qui manque, ajoute-t-il.

Il prend la peine d'expliquer que souvent, les commanditaires des recherches sont mécontents des résultats et veulent des modifications. Mais en tant que chercheur, il se contente de livrer les résultats. Il préfère «bien dormir», quitte à être «un peu plus pauvre» mais avec son intégrité, plutôt que de se plier aux exigences des clients, dit-il.

Merde, c'est lui qui l'avait fait!

La chercheuse Élisabeth Papineau, qui témoigne elle aussi, se montre choquée devant le juge de voir qu'on a joué dans son étude et retiré son nom - avec raison. Il y a une question de violation du droit d'auteur.

Le juge Gratien Duchesne laisse voir qu'il est choqué par l'affaire. Mais les affirmations ne Boisvert ne sont aucunement contredites en Cour. Les avocats de Loto-Québec, nullement impliquée dans cette histoire d'étude tronquée, apprennent l'affaire en même temps que tout le monde et sont aussi abasourdis.

J'ai rencontré Boisvert au mois d'avril, donc quatre mois après son témoignage. C'est lui qui m'a informé de l'histoire. Il m'a donné copie des deux rapports. Il m'a même fait un parallèle avec l'affaire Guy Lafleur: cette fois, c'est l'État qui trompe la Cour!

Quelle histoire!

Il m'a montré comment c'était du travail d'amateurs: la page frontispice avait été changée, mais l'en-tête des pages intérieures portait encore le nom de l'enquête originale. Ridicule!

C'est lui, à ma demande, qui m'a fait parvenir toutes les transcriptions pertinentes.

Et trois semaines plus tard, après avoir retrouvé tous les courriels et documents avec les avocats de l'INRS... il est bien obligé de se rendre à l'évidence: c'est son labo qui a fait ça. Il a écrit au juge la semaine dernière que la RACJ n'a rien fait de mal. Il présente ses excuses à la Régie, à la cour, à moi aussi.

C'est du délire, ou quoi? Que s'est-il donc passé? Il s'est passé ce qui arrive souvent, mais qui est un secret inavouable de la recherche commanditée: c'est lui qui a lui-même tronqué le rapport pour la Régie qui n'aimait pas l'original.

Oh, pour des fins élevées, bien sûr: on lui permettrait de publier la vraie recherche, l'autre serait enfouie sur une tablette de la Régie, et puis merde, qu'ils s'arrangent avec ça, on s'en fout, c'est le prix à payer pour publier la «vraie» étude de 114 pages, celle qui compte.

Les échanges de documents le montrent: s'il ne l'a pas fait lui-même, il en a donné l'ordre. Mais il avait «oublié» cet épisode «pas des plus glorieux» et était passé à autre chose.

Et six ans plus tard, quand, avant de témoigner, on lui montre le document tronqué, il ne le reconnaît pas. «Je me suis dit: c'est quoi, cette cochonnerie?»

Ben... c'était sa cochonnerie et celle de l'INRS.

Sauf que, sous serment, il a expliqué en quoi ce document tronqué est ridicule, mal fait et certainement pas de lui. Il est allé attaquer la Régie. Et, comme souvent, il a été très sévère dans ses commentaires.

Mais tout était de sa faute.

Comment a-t-il pu oublier avoir enlevé le nom d'un chercheur pour plaire à un commanditaire? C'est tout de même une faute d'éthique assez spectaculaire.

Il a consulté des collègues avant de témoigner. Il avoue qu'il aurait dû faire plus de recherches avant d'accuser la RACJ publiquement et très officiellement, devant la Cour supérieure... et dans La Presse.

En effet.

Quelle histoire nous avions! Une société d'État qui trafique un rapport! Dans le domaine glauque du jeu, en plus. Joli scandale. Et tout était dit sous serment devant la Cour supérieure! Du gâteau.

Mais ce n'était pas vrai, même pas un petit peu.

Boisvert a démissionné de la direction du laboratoire d'éthique qu'il dirigeait et de la revue d'éthique qu'il avait fondée. On ne l'entendra pas de sitôt commenter l'éthique publique des autres dans les médias.

Quant à moi, même si tout mon récit reposait sur des témoignages rendus sous serment, j'ai écrit sans le savoir des balivernes et je ne suis pas content.

Même s'il m'a induit lourdement en erreur, je laisse encore le bénéfice du doute à Boisvert sur cet oubli, ma foi, bizarre. Il a été tellement candide, j'ai peine à croire qu'il ait aussi grossièrement accusé la Régie et bousillé sa carrière.

C'est tout de même lui qui a trafiqué son rapport, et comme il l'a dit au juge: c'est grave.

Reste qu'au bout du compte, sur la foi de ces témoignages, j'ai aussi accusé injustement la RACJ. Je dois donc aux lecteurs de La Presse et aux gens de la RACJ des excuses que je fais ici.

Yves.boisvert@lapresse.ca