Amenez-nous un groupe africain, des rappeurs vietnamiens ou des trombonistes finlandais, on trouve ça mignon comme tout. C'est la Fête nationale! Tout le monde est québécois!

Mais un Anglais dans un spectacle secondaire de la Saint-Jean? Quelle répugnante idée...

À bien y penser, l'étonnant n'est pas tant de voir quelques zélés de la ceinture fléchée bannir des groupes anglophones. C'est que, pendant toutes ces années, les Anglais aient été officieusement bannis de la fête nationale de « tous les Québécois ». Ce qui était normal en 1974, du temps de la fête des Canadiens français, est devenu franchement honteux maintenant que c'est la Fête nationale. Tout dépend évidemment de ce que vous voulez inclure dans votre nation.

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Il y a dans cet incident toute la schizophrénie du nationalisme contemporain.

Il n'est plus acceptable qu'il soit «ethnique». Il se veut «territorial». Il inclut donc tous ceux qui veulent vivre sur le territoire québécois, quelle que soit leur origine. Pas seulement l'ethnie canadienne française qui vit au Québec.

En même temps, il n'y a pas de nationalisme québécois sans désir de défendre et de promouvoir le français face à l'anglais. La géographie ne génère pas tellement d'émotion nationale à elle seule...

Donc, tout le monde est bienvenu dans la nation. Elle est diverse mais a sa langue officielle, le français.

Est-ce que cela veut dire que la culture, pour être nationale, doit être unilingue?

C'est apparemment le point de vue mesquin des organisateurs de la Saint-Jean.

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La Saint-Jean a suivi la même évolution que le nationalisme québécois. Autrefois, c'était la fête des Canadiens français, où qu'ils soient. La Société Saint-Jean-Baptiste, d'ailleurs, était à l'origine vouée à la défense de tous les Canadiens français sur le territoire nord-américain. C'est sous l'impulsion du mouvement souverainiste qu'elle s'est muée en organisation indépendantiste.

Le Parti québécois, sous René Lévesque, a consacré la Saint-Jean Fête nationale du Québec. Il y a depuis 1978 une Loi sur la Fête nationale. C'était habile politiquement, mais cela suppose à terme de repenser tranquillement pas vite cette fête... ou la nation. Ça reste à faire.

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On a vu dans les défilés et dans les fêtes des efforts pour inclure les communautés culturelles.

Il y a 20 ans, je me souviens de cet hommage équivoque qui avait défilé devant moi, rue Sherbrooke, sous la forme d'un mouton de Troie dans lequel souriaient des représentants des immigrés. Ils arrivent de partout et entrent dans la cité. Quand on sait que le cheval de Troie a servi à pénétrer dans la cité pour semer la mort et la dévastation, on se demande s'il faut rire ou s'inquiéter, mais enfin, ça partait d'un bon sentiment...

En même temps, un peu comme Trudeau a voulu noyer le nationalisme québécois dans la mer du multiculturalisme, les organisateurs des fêtes nationales se sont employés à dissoudre les anglophones dans l'océan des autres «nous autres».

Le défilé culmine toujours par un grand discours souverainiste, suivi d'un grand spectacle où il faut montrer patte bleue. Nonobstant l'excellence des artistes, l'empreinte idéologique de la SSJB est manifeste. C'est la Fête nationale telle que la conçoit l'organisation souverainiste. Ça fait partie du rituel annuel, et le public en redemande.

Il est dans la normalité des choses que le spectacle principal soit entièrement en français. La Fête nationale reste aussi l'affirmation joyeuse de la culture francophone dans ce coin d'Amérique du Nord.

Mais toutes les manifestations, partout, doivent-elles être du même moule?

La culture du Québec s'exprime dans plusieurs langues, c'est presque humiliant d'avoir à le dire. Il y a une mesquinerie, une sorte de fascisme culturel bon chic bon genre dans ce bannissement.

«Au Québec, ça se passe en français», tel est le mot d'ordre des gens de la SSJB et autres représentants de l'avant-garde patriotique.

Il se trouve que ça ne se passe pas seulement en français. Il y a une présence anglophone au Québec depuis 250 ans. Me semble que ça donne le droit de pousser deux, trois tounes dans un spectacle parallèle subventionné le 23 juin.

Me semble que la bataille des Plaines, si on n'en revient pas encore, on peut s'entendre pour dire que ce n'est pas de la faute des membres de Lake of Stew.

Me semble que la culture anglophone a le droit d'être subventionnée, et d'être entendue aussi, même dans le temps de la Saint-Jean.

Me semble qu'on n'est pas obligés de se soumettre aux diktats idéologiques de ces organisateurs «nationaux».