Entendons-nous immédiatement sur ceci: 12 ans d'emprisonnement pour la fraude de 115 millions de Vincent Lacroix, ce n'est vraiment pas exagéré.

Seul problème: on lui a infligé cette peine dans le mauvais procès. On l'a écrit plus d'une fois.

Alors, même si ce sera formidablement impopulaire, la Cour d'appel a eu parfaitement raison de ramener cette peine à cinq ans moins un jour, vendredi.

Disons que ça remet de l'ordre dans ce dossier parti plein de bons sentiments, mais à l'envers.

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Pourquoi parti à l'envers? Parce qu'on a commencé par le «petit» procès au lieu du grand. Le procès pour des infractions à la Loi sur les valeurs mobilières a eu lieu en 2007. Et le procès criminel pour fraude vient à peine de commencer.

Or, d'après la loi québécoise sur les valeurs mobilières, la peine maximale prévue est de cinq ans moins un jour. Tandis que la peine maximale pour fraude selon le Code criminel est de 14 ans. C'est ce à quoi fera face Lacroix s'il est condamné dans ce procès qui commence.

Comment le juge Claude Leblond a-t-il pu arriver à une peine de 12 ans moins un jour, en 2008, au terme du procès intenté par l'Autorité des marchés financiers (AMF)? En additionnant les peines.

Lacroix a été condamné pour 51 infractions. Le juge Leblond lui a infligé cinq ans moins un jour (le maximum) pour l'ensemble des 27 premières, qui consistent à avoir tenté d'influer sur le cours des actions de ses fonds; il a aussi été condamné deux fois à 42 mois pour deux blocs de 24 autres infractions consistant à avoir transmis de faux renseignements à l'AMF. Le juge lui a en outre imposé une amende de 255 000$.

Et il a additionné le tout. C'est-à-dire qu'il a décrété que les peines de ces trois blocs d'infractions seraient «consécutives». Donc: cinq ans moins un jour, plus 42 mois, plus 42 autres mois. Cela fait au total 12 ans moins un jour.

Pourquoi cinq ans «moins un jour»? Parce que la Charte des droits garantit le droit à un procès devant jury pour les crimes punissables d'un maximum de cinq ans ou plus. Vous ne verrez donc pas de loi provinciale qui permet l'emprisonnement pour cinq ans ou plus. Cela tombe dans le domaine du droit criminel, qui est de compétence fédérale.

Il est même relativement nouveau que l'on multiplie les peines d'emprisonnement importantes pour des infractions provinciales. On y prévoyait historiquement surtout des amendes.

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Douze ans moins un jour, donc. Une sentence très bien motivée sur le fond par le caractère gigantesque et historique de l'arnaque de Lacroix et l'ampleur des dégâts humains qu'elle a causés.

Seule vraie question: le juge avait-il le droit d'additionner les peines?

Étonnamment, dans son premier appel, l'avocat de Lacroix, Clemente Monterosso, a déclaré que, selon lui, le juge Leblond avait le droit. Il soutenait par contre que le total était déraisonnable. Le juge André Vincent, de la Cour supérieure, a retranché un bloc de 42 mois à la peine (au motif que ce bout-là ne pouvait pas être additionné, mais les deux autres blocs, oui). Ce qui faisait huit ans et demi... moins un jour.

Devant les juges de la Cour d'appel, Me Monterosso a retourné sa toge: il soutenait désormais que le cumul des peines était illégal.

Cet imbroglio fait en sorte que le jugement de la Cour d'appel est archi-technique. La Cour commence par se demander si Lacroix, n'ayant pas plaidé l'argument au départ, peut être autorisé à le faire. Elle répond oui: c'est une question de légalité, d'ailleurs soulevée par l'AMF.

Par la suite, la Cour se lance dans une longue analyse de la légalité des peines consécutives. Elle conclut que, faute d'un texte de loi qui autorise les juges à additionner les peines, la pratique n'est pas permise. Elles doivent donc être confondues.

C'est pourquoi tout est ramené à cinq ans moins un jour. La Cour prend bien soin de le dire: la question n'était pas de savoir si la peine était raisonnable, mais strictement si elle était légale.

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En ce qui me concerne, c'est dans une remarque en passant, à la toute fin du jugement, que la Cour d'appel donne l'argument le plus déterminant: ce n'est pas pour rien que la loi parle de «cinq ans moins un jour». C'est parce qu'un droit fondamental historique est en jeu.

Tous les citoyens canadiens ont droit à un procès devant jury s'ils font face à une peine de cinq ans ou plus. On ne peut nier ce droit à Lacroix pour lui infliger une peine de 12 ans à la fin du procès, aussi répugnant puisse-t-il être.

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Dans ce dossier, l'AMF, lourdement critiquée pour son laxisme passé, a voulu se racheter en frappant vite et fort contre Lacroix. Fort bien. Mais c'est ce qui fait qu'elle est arrivée devant un juge un an avant la GRC. Ça ne veut pas dire qu'elle peut télescoper le procès criminel.

La bonne nouvelle, maintenant, c'est que Lacroix peut difficilement plaider le «double péril», dorénavant: il a été condamné légalement en vertu d'une loi provinciale, qui a ses finalités propres (l'intégrité des marchés financiers); il est maintenant devant la cour criminelle, où il sera jugé pour fraude, c'est-à-dire le crime de tromper les gens pour les dépouiller. Il risque 14 ans qui, ceux-là, pourraient être consécutifs aux cinq ans du premier procès.

N'allons donc pas croire que Lacroix s'en «sort» avec ce jugement, qui vient remettre les choses presque à l'endroit.