Gilles Duceppe a fait mercredi à Stephen Harper une offre qu'il ne peut pas refuser : en une journée, on peut mettre fin à cette mesure absurde qui permet de libérer les détenus fédéraux «non violents» au sixième de leur peine.

Ce programme, en vigueur depuis 1997, bénéficie essentiellement aux gens du crime organisé, aux superfraudeurs et à ceux qu'on appelle désormais les «bandits à cravate».

Prenons un exemple.

Le 28 juin 1995, Joseph Lagana, un avocat de 43 ans, a été condamné à 13 ans de pénitencier pour blanchiment de 47,5 millions de dollars de la mafia montréalaise. Il avait en même temps été condamné pour trafic de 558 kilos de cocaïne - un détail.

La peine était loin d'être sévère, mais tout de même, la police avait réussi ce qu'elle ne réussit presque jamais : faire condamner un de ces professionnels qui gèrent, placent et déplacent les millions du crime organisé.

Un homme sans antécédent qui n'a pas commis de crime violent et qui ne se bagarre pas en prison peut s'attendre à obtenir sa libération conditionnelle à la première occasion. C'est-à-dire au tiers de sa peine.

Si tout allait comme prévu, il pouvait espérer être libre quatre ans et trois mois plus tard, donc quelque part en octobre ou novembre 1999.

Aussi, Lagana a été l'homme le plus étonné (et le plus joyeux) au monde quand on lui a annoncé qu'il serait un des premiers bénéficiaires du «Programme d'examen expéditif» voté par le gouvernement libéral dans la plus totale indifférence. Il est sorti de prison au mois d'août 1997.

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Ce programme permet depuis 12 ans à toute personne qui en est à sa première condamnation pour un crime non violent d'être libérée dès le sixième de sa peine purgé. Première condamnation... à une peine à purger dans un pénitencier fédéral au Canada, c'est-à-dire de deux ans ou plus. La personne peut avoir été condamné 10 fois à la prison provinciale (moins de deux ans), ou dans un autre pays : elle sera admissible.

Quelle sorte de crime non violent peut vous envoyer en prison pour deux ans ou plus? Rarement les vols de trottinette. Essentiellement, c'est le trafic de drogue, mais pas mal plus que trois joints de pot ; les fraudes très importantes ; ou les rares cas de blanchiment de sommes substantielles.

Donc, généralement, des membres du crime organisé, des Vincent Lacroix ou des fraudeurs du programme des commandites.

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Diviser par six une peine de pénitencier, c'est la tourner en ridicule. Dans le contexte où les juges sont tenus de considérer tous les facteurs de réhabilitation et de ne recourir à l'emprisonnement qu'en dernier recours, une telle mesure, à peu près automatique, est indéfendable. Elle mine la crédibilité de la justice criminelle au grand complet.

Au fil des ans, on a resserré cette mesure, mais pour l'essentiel, elle est intacte. Le gouvernement conservateur propose de la resserrer encore. Mais pourquoi ne pas simplement l'abolir?

Pour l'instant, les conservateurs se rabattent sur leur projet de réforme des libérations conditionnelles, qui mettra davantage l'accent sur la protection de la société plutôt que sur la réhabilitation des délinquants. Ils proposent dans le projet de loi C-43 toute une série de mesures pour rendre plus difficiles les libérations conditionnelles. Voilà qui crée les conditions pour également rendre plus difficile la libération au sixième, disent-ils.

Je répète la question : dans quels cas une telle libération peut-elle être justifiée? Sauf cas humanitaires criants, il n'y en a pas.

Au lieu de faire du marketing de sécurité publique en multipliant les peines minimales automatiques, les conservateurs ont une occasion de mettre fin à une mesure qui, d'un point de vue progressiste comme d'un point de vue conservateur, n'a pas sa place.

Voilà trois ans et demi que ce gouvernement supposément obsédé par la sécurité publique est en place, et ce problème relativement simple, d'ailleurs dénoncé par les conservateurs eux-mêmes à l'époque, est toujours non résolu.

Bien sûr, l'idée émane cette fois-ci du Bloc. C'est embêtant. Mais que voulez-vous, il se trouve qu'en matière de sécurité publique, le Bloc québécois fait un travail particulièrement brillant. Les propositions de Gilles Duceppe et Serge Ménard (annoncées mercredi) pour lutter contre les crimes financiers sont équilibrées, réalistes et intéressantes.

Parmi elles, l'abolition de la libération au sixième, réclamée sans relâche par le Bloc. Les conservateurs devraient nous donner une seule bonne raison de ne pas être d'accord au moins avec ça.

Y en a-t-il?