Le problème de la Ville de Montréal n'est pas qu'on a tout balancé au secteur privé. C'est qu'on a tout balancé à un très petit nombre d'entrepreneurs.

En même temps, on a affaibli la capacité de surveillance de la fonction publique. Donc, le champ est maintenant libre non pas à une privatisation, mais à une appropriation pure et simple des contrats de la Ville.

En d'autres termes, ce n'est pas nécessairement moins cher dans le privé. Et ce n'est pas nécessairement moins cher non plus dans le public. Mais c'est nécessairement plus cher quand il n'y a pas de concurrence.

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Le déficit de concurrence. Voilà le coeur du rapport du vérificateur général Jacques Bergeron sur le très humide scandale aquatique que l'on sait.

Voilà ce qui fait qu'on paie trop cher pour les services municipaux. Voilà ce qui fait qu'on paie trop cher pour les routes. Voilà ce qui fait qu'on achète des bébelles dont on n'a pas besoin (un contrat trop gros, rappelez-vous).

Les recommandations du vérificateur vont loin : il suggère que, pour des contrats importants, un appel d'offres soit lancé aussi bien au Québec qu'à l'extérieur. Quand on magasine toujours au même coin de rue, on obtient rarement ce qu'il y a de mieux au meilleur prix.

Mais voilà, les entreprises n'ayant pas déjà fait affaire avec la Ville sont systématiquement défavorisées dans les appels d'offres, car on y retrouve toujours le critère de la « connaissance du milieu ».

Cela restreint le libre marché et pénalise les entreprises de l'extérieur - des entrepreneurs de Québec ou de Gatineau, par exemple, sans même parler de concurrents des autres provinces.

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Pas assez de compétition, donc. Mais la petitesse d'un milieu a un autre effet : moins il y a de participants aux appels d'offres, plus il y a de risques de collusion. Entre les entrepreneurs, qui s'arrangent pour fixer les prix. Et entre les entrepreneurs et certaines personnes clés dans l'administration, pour truquer les appels d'offres et cadenasser le système.

«J'ai passé des mois dans un bureau d'avocats pour analyser des offres d'entrepreneurs et trouver des failles, pour qu'elles soient légalement rejetées et que le candidat de la Ville soit retenu», me confiait hier un avocat. Cela ne se passait pas à Montréal, mais dans une ville pas très loin de chez vous.

Le vérificateur note avec approbation que, depuis le mois d'août, la Ville exige « un formulaire attestant l'absence de collusion » de la part des entrepreneurs. Les entreprises ayant été déjà condamnées pour complot en vue de réduire indûment la concurrence devraient être écartées pour une période de temps. C'est un bon début.

Mais pour qu'un grand ménage soit fait à l'hôtel de ville, on n'a pas besoin d'attendre une commission d'enquête. Il faut un système beaucoup plus transparent et beaucoup plus ouvert à la concurrence.

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Il est intéressant de noter que le vérificateur recommande de faire une évaluation interne des travaux avant de les donner au privé. Ou à tout le moins pour «étalonner» les prix.

Il y a des cas où les cols bleus peuvent faire le même travail pour aussi bien et pour moins cher. Ils sont sûrement contents de lire ça dans le rapport. Accepteront-ils pour autant le principe de la concurrence ? Quand on a un plancher d'emplois, on est rarement un adepte féroce de la concurrence. Pourtant, il ne fait pas de doute que les employés municipaux connaissent la ville mieux que quiconque.

En Grande-Bretagne, dans les années 1980, on a implanté un régime de concurrence pour les contrats dans les municipalités, auquel même les employés municipaux étaient soumis. Les syndicats ont protesté, mais plus de 70% des contrats ont été obtenus par les employés municipaux, justement parce qu'ils sont par définition des experts dans le domaine.

En ce moment, les Montréalais paient pour le manque de concurrence dans leur ville, dans le privé comme dans le public.

Et comme on a laissé la fonction publique montréalaise s'affaiblir, comme on n'a pas su développer sa compétence (c'est aussi dans le rapport), personne n'est en mesure de surveiller et de dire non. On a contourné ceux qui ne sont pas des yes men, on a contourné et contrôlé le contentieux, les finances, tout ce qui est embêtant. Et tout était en place pour le désastre administratif que vous voyez.

On peut se demander où étaient les 102 élus du conseil municipal (un record nord-américain de gaspillage: Toronto en a 44!). Comment se fait-il qu'on ait pu leur cacher l'information si facilement? Quelle est donc cette petite clique qui contrôlait tout ? Comment se fait-il que les élus aient laissé l'administration soustraire de son contrôle toutes sortes de dossiers, dont l'ensemble des propriétés immobilières de la Ville?

Quoiqu'il advienne des enquêtes policières et des élections, le nettoyage passera par des outils classiques: transparence rigoureuse, circulation pleine de l'information, ouverture à la concurrence véritable.