Les mesures annoncées par Québec sont toutes bonnes. Mais aucune ne réglera le problème de la démocratie municipale.

Qu'on fasse entrer les campagnes au leadership sous l'empire de la Loi sur le financement des partis politiques est une bonne chose. Les chefs de parti devront nous dire qui leur donne quoi. Il y aura des limites et seuls les dons personnels seront acceptés. Qu'on interdise les dons anonymes, c'est bien aussi, même s'ils sont marginaux.

Mais n'allez pas croire qu'on a trouvé une solution aux influences occultes en renforçant la loi : on la viole presque à l'unanimité.

Actuellement, les partis majeurs, au municipal comme au provincial, sont souvent incapables de financer à leur goût leurs campagnes tout en respectant la loi. Les campagnes coûtent trop cher et il n'y a pas assez de citoyens pour donner aux partis politiques.

Que font les organisateurs quand ils en veulent plus, alors ? Ils utilisent toute une série de subterfuges pour respecter les contours de la loi. Officiellement, ils ne reçoivent que des dons de particuliers. Ils respectent les limites de dépenses. Ils produisent des rapports détaillés.

Mais dans la vraie vie, ils en violent tant l'esprit que la lettre. C'est le sale secret que partagent, de manière variable selon les époques, libéraux, péquistes, adéquistes et partis municipaux un peu importants au Québec.

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Comment pensez-vous que le maire de Montréal peut ramasser plus de 300 000 $ en une soirée dans un cocktail-bénéfice à Saint-Léonard? La question a été posée par Richard Bergeron à Gérald Tremblay au débat de lundi. Tout était parfaitement légal, a répliqué M. Tremblay. Les gens donnaient chacun 1000 $. C'est tout!

Je ne sais pas pour ce cocktail-là, mais pour plein d'autres, le truc est assez simple. Une firme d'ingénieurs, ou d'avocats, ou de publicitaires, ou une compagnie de construction paie des employés pour qu'ils fassent eux-mêmes des dons «personnels». Ces gens versent donc en leur nom l'argent de telle ou telle société. Ils reçoivent un reçu et leur nom apparaît sur le rapport de l'agent officiel. Tout est O.K.!

Quand ça ne suffit pas, et ça ne suffit pas souvent, des firmes intéressées aux contrats municipaux fournissent des travailleurs d'élections «bénévoles». Les contrats arriveront après les élections.

Souvent, une firme (disons d'ingénieurs) va voir un candidat avec un sondage qu'elle a payé de sa poche. Précieux outil. On va l'aider à gagner. Le candidat se trouve maintenant redevable et partie d'un système.

À un niveau supérieur, ou plutôt encore plus bas, des firmes vont apporter carrément des enveloppes d'argent comptant aux candidats. Toujours pour payer des travailleurs ou diverses dépenses de campagne.

Mais du simple contournement de la loi électorale à la corruption pure et simple, il n'y a que quelques marches à descendre.

Un ancien élu municipal m'a raconté qu'un ingénieur est venu le voir pour lui offrir de l'argent, à déposer dans un compte secret à l'étranger. Un autre m'a dit qu'une firme lui offrait des vacances dans le Sud, assorties de reçus bien entendu.

Ceux-là ont dit non. D'autres ont dit oui. On connaît les méthodes, on connaît les suspects, toujours les mêmes. On pourrait presque faire une cartographie de la violation de la loi électorale, de la fraude électorale, des influences occultes et de la corruption pure et simple, avec des couleurs plus ou moins foncées selon les quartiers, les arrondissements, les villes.

On pourrait aussi faire un classement des firmes selon qu'elles font seulement du tordage de bras financier, du financement illégal, des élections clés en main ou de la corruption municipale.

Dans le milieu, les noms reviennent comme un refrain. Mais c'est un crime sans victime et sans témoin, pour ainsi dire : celui qui donne comme celui qui reçoit n'iront pas se plaindre. «Le public» pourrait se plaindre, mais les témoins sont des participants et des bénéficiaires du système. Rappelez-vous les deux conseillers municipaux de la Ville de Saint-Laurent, Irving Grundman et René Dussault. Il a fallu les piéger pour les filmer en train de recevoir un pot-de-vin (pour un changement de zonage). «On l'a fait tellement souvent!» disait Grundman en riant.

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C'est une loi admirable que nous a donnée René Lévesque. Elle a secoué les moeurs électorales au Québec et au Canada. Mais aujourd'hui, elle est détournée à bien des endroits. Qu'on la renforce, c'est bien. Qu'on démasque le système de détournement, ce serait mieux. Pour démasquer quelques champions et leurs méthodes, bien sûr (la commission Gomery nous menait à ce problème, comme l'a rappelé son président hier). Et pour trouver des moyens de changer les moeurs, pas seulement les lois.

Ça ne se fera pas simplement par une surveillance accrue des Affaires municipales.