Si ce n'est pas de l'intimidation judiciaire, ça en a l'air. Denis Lavigne, maire du village de Saint-Placide (1646 habitants aux dernières nouvelles), se fait poursuivre pour 600 000$ par deux entreprises de la famille Rémillard.

Pourquoi? Parce qu'il se serait lancé dans une campagne de dénigrement des projets d'enfouissement des sociétés des Rémillard.

 

Lucien Rémillard, au cas où vous ne le sauriez pas, est le leader québécois de la gestion des déchets. Avec la Corporation Maybach, qu'il contrôle, il possède RCI Environnement et diverses entreprises reliées. Sa famille possède également Remstar et le rejeton de TQS, V.

M. Lavigne, à titre de maire, a été mêlé à des dossiers d'enfouissement dans la région de Lachute. Autrefois chaud partisan de la privatisation, M. Lavigne a changé d'idée. Il a même intenté un recours pour faire annuler le contrat qui donne la gestion d'un lieu d'enfouissement à Gestion Environnementale Nord-Sud, une autre société des Rémillard. Le litige n'est pas réglé.

Depuis, M. Lavigne se fend de déclarations et d'interventions contre la privatisation de la gestion des déchets dans sa région et au-delà.

Et ça, Lucien Rémillard n'a pas l'air d'apprécier du tout.

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La goutte d'huile qui a fait déborder la poubelle, pour ainsi dire, fut une intervention de M. Lavigne devant une assemblée organisée par les Amis de la Terre, dans la région d'Asbestos. On l'avait invité à parler de son expérience dans sa région.

Qu'a-t-il dit de si terrible pour être poursuivi à hauteur de 600 000$? D'après la poursuite, le maire Lavigne a «porté atteinte à la réputation» des entreprises des Rémillard qui ont un énorme projet dans l'ancienne mine Jeffrey (Complexe Estrie-Enviropôle et Corporation Maybach). Il a aussi «contribué à installer un climat de peur et de paranoïa collective à l'égard de l'entreprise privée».

Et comment? La poursuite ne cite que deux extraits d'articles de journaux où M. Lavigne recommande aux gens de demeurer propriétaires de leurs lieux d'enfouissement et de «contrôler les activités qui s'y déroulent».

Hum. Comme atteinte à la réputation, on a vu mieux.

M. Lavigne recommandait aussi aux gens «la plus grande prudence (...) avant de s'engager avec un promoteur privé, surtout lorsque ce projet est de cette ampleur».

Sage conseil en toutes circonstances, non?

Il a également recommandé aux gens de l'endroit de «demeurer maîtres chez vous», relatant son expérience.

La poursuite affirme que M. Lavigne menace les entreprises de nuire à leur réputation si elles ne règlent pas leur litige en versant 12 millions à la municipalité. J'ignore si c'est vrai, mais en lisant cette poursuite, il me semble que le maire Lavigne a raté son coup s'il veut faire de la diffamation! Va falloir suivre des cours chez André Arthur, M. le maire.

Il faut dire que le projet Enviropôle semble voué à l'échec, vu que la MRC locale a limité le nombre de tonnes de déchets à gérer annuellement dans l'ancienne mine à 50 000. Maybach prévoyait y envoyer entre 600 000 et 800 000 tonnes. L'entreprise des Rémillard poursuit d'ailleurs tous les maires qui ont voté pour cette limite et la MRC des Sources pour faire annuler le règlement.

Dans le cas du maire Lavigne, les entreprises de M. Rémillard lui reprochent de s'être prononcé en dehors de sa région, en dehors de ses fonctions. Et alors? Les élus sont-ils tenus aux limites de leur municipalité? Élus et citoyens perdent-ils leur liberté d'expression en changeant de ville? Ce serait évidemment absurde. Si on n'a plus le droit de prendre position dans un débat d'intérêt public, de le critiquer, d'appeler à la prudence, que reste-t-il de cette liberté?

Ça fait gros bras, comme argumentation.

Voilà me semble-t-il un cas idéal pour tester la nouvelle loi anti-SLAPP, adoptée en juin par l'Assemblée nationale.

Dur en affaires

Lucien Rémillard n'est pas toujours tendre en affaires, comme le montre une affaire rocambolesque remontant à 2000. À l'époque, Fiducie Remdev est propriétaire du St-James, qui deviendra le chic hôtel qu'on connaît. Une autre société des Rémillard, Investissements Historia, acquiert un immeuble voisin, rue Saint-Jacques dans le Vieux-Montréal. L'entreprise des Rémillard veut vider l'endroit.

Seul pépin, la firme de design Gervais Harding a signé un bail avec l'ancien propriétaire. Ils ne veulent pas s'en aller sans compensation, comme le prévoit le contrat.

C'est alors que commencent leurs ennuis. Les ascenseurs ne fonctionnent plus. Il y a des poissons morts dans l'entrée. Des grandes photos pornos sont installées sur les murs - très agréable quand les clients se pointent. Les toilettes sont mystérieusement bouchées, etc.

Les designers, voyant bien qu'ils sont victimes d'une campagne de harcèlement, installent une caméra vidéo. Ils découvrent que deux «agents de sécurité» engagés par Investissements Historia sont ceux qui placent des poissons morts et des affiches pornos...

Dans un jugement très sévère en 2005, le juge Claude Auclair a condamné la société de Lucien Rémillard à verser plus de 2 millions à Gervais Harding, allant jusqu'à ordonner le remboursement de leurs frais d'avocats, plus des dommages exemplaires de 100 000$. «Les moyens ont dépassé l'entendement et le harcèlement injustifié exercé par Historia doit être réprimé et dénoncé vigoureusement», a écrit le juge, qui parle d'intimidation et d'humiliation. Le jugement a été confirmé en appel.

Comme quoi, quand on peut se défendre, les gros bras n'ont pas toujours le dernier mot.