Malalai Joya est sans doute «la femme la plus courageuse d'Afghanistan», mais cet immense courage ne lui donne pas forcément raison.

De passage à Montréal cette semaine, celle qui fut expulsée du Parlement a dénoncé le gouvernement Karzaï et réclamé le retrait de troupes militaires de l'OTAN.

Le peuple afghan, dit-elle, est fort bien capable de décider lui-même de son avenir. Au lieu de soutenir un gouvernement corrompu à l'os et de dépenser une fortune dans la guerre, il ferait mieux de verser cet argent au peuple.

On veut bien, mais qu'arriverait-il si, demain, l'OTAN se retirait? Une victoire des talibans? Un partage du territoire entre les talibans et les seigneurs de la guerre qui soutiennent le président Karzaï? Ou carrément la guerre civile - encore?

Je ne comprends pas comment cette femme, qui dirigeait un orphelinat sous les talibans et qui enseignait clandestinement aux filles, peut prendre le parti du retrait des troupes.

Enfin, si, je comprends. L'Afghanistan est sous occupation militaire. De nombreux civils ont été tués par les forces de l'OTAN. L'Occident soutient un gouvernement corrompu et rétrograde. Les élections ont été truquées. La situation s'est dégradée dans plusieurs régions, la sécurité n'est pas assurée et les talibans font des percées.

Mais le retrait précipité des troupes de l'OTAN ne fera arriver ni la paix, ni le progrès social, ni un gouvernement démocratique. Seulement plus de chaos.

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Il n'y a rien de tellement réjouissant à dire sur l'Afghanistan, depuis que l'OTAN a décidé d'y envoyer des troupes, sinon que les talibans ont perdu le pouvoir et qu'Al-Qaeda, affaibli, a dû se replier dans les montagnes du Pakistan. C'est déjà important, puisque c'était le siège du plus dangereux réseau terroriste islamiste.

Mais si l'on croit que l'on peut construire une nation démocratique à coups de canon dans un pays divisé et rongé par les conflits depuis 100 ans, en effet, on n'est pas au bout de nos déceptions.

Dans ses Antimémoires, en 1972, André Malraux écrit ceci de son passage dans la région : «L'Afghanistan de 1929, dans ma mémoire, c'était la guerre civile (...). Un Islam ossifié était la seule carcasse qui maintînt debout ce peuple somnambule parmi ses ruines, entre la nudité de ses montagnes et le tremblement solennel du ciel blanc.»

Cet Islam «ossifié», c'est encore celui des talibans, des lapidateurs, des faiseurs de burqas et de ceux qui veulent tenir les femmes en esclaves. Si les troupes occidentales ne peuvent pas imposer un État de droit moderne digne de ce nom, du moins peuvent-elles les éloigner du pouvoir.

Mme Joya nous dit que les seigneurs de la guerre qui se sont joints au gouvernement ne sont pas mieux et ont un passé d'assassins. Au moins doivent-ils faire des compromis politiques.

George Bush, en même temps qu'il négligeait l'Afghanistan au profit d'une guerre insensée en Irak, n'en promettait pas moins un double objectif stratégique et moral ambitieux : démanteler un gouvernement terroriste et installer la démocratie. Pour le premier, la tâche était relativement simple. Pour la construction démocratique, les efforts américains ont été à la fois insuffisants, arrogants et catastrophiques.

Barack Obama, qui semble résolu à envoyer plus de soldats, est paradoxalement beaucoup plus modeste dans ses ambitions. N'allez pas croire qu'on fera de l'Afghanistan «une démocratie jeffersonienne», ce n'est tout simplement pas réaliste, a-t-il dit.

Pour les Occidentaux, il n'est plus question de «gagner la guerre», pour ainsi dire, mais de ne pas perdre l'Afghanistan. Et comme le Pakistan - un pays nucléaire - est déstabilisé par la montée de l'islamisme dans la région voisine de l'Afghanistan, c'est un objectif qui devient capital.

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On peut espérer que la pression militaire sur les talibans réussisse à en faire changer de camp. C'est la théorie de nombreux experts (1), dont certains ont entretenu des liens avec les talibans, qui ne sont pas un bloc monolithique. Ils avancent avec raison que l'effort politique et diplomatique est indissociable d'un effort militaire supplémentaire.

Éventuellement, si les guerres afghanes doivent cesser, il faudra un pacte entre Afghans. Une réconciliation nationale qui pourra être acceptable à l'Occident si elle exclut les partisans du terrorisme

islamiste. Mais on est malheureusement loin de là.

Il n'y a là rien de très réjouissant et probablement un horizon de plusieurs années de guerre. Ce qui veut dire plus de morts de civils afghans et de jeunes Occidentaux, des scandales sur la corruption du gouvernement local, les droits de la personne et la torture.

En sachant, en plus, que cette mission auréolée hier encore d'un rêve de nation building ressemble de plus en plus à de l'endiguement. Résister, épuiser l'ennemi. Il s'agit moins de «faire le bien» que d'empêcher le pire, en somme.

Retirer les troupes occidentales ferait sans doute plaisir aux opinions publiques nationales. Mais comment penser qu'il en sortirait, là maintenant, un pays plus sécuritaire et plus démocratique?

Il faut changer d'approche, certes, mais maintenir, voire augmenter la présence militaire. Je ne vois nulle part de plan de retrait rapide qui soit «moins pire».

Précision - Contrairement à ce qui était écrit dans la chronique d'Yves Boisvert le lundi 23 novembre, l'avocate Micheline Parizeau, même si elle a été membre du Barreau de l'Alberta, n'y a jamais déménagé pendant sa radiation du Barreau du Québec.

(1) How to Flip the Taliban, Foreign Affairs, juillet-août 2009.