Bizarre, tout de même. La décision Wal-Mart de vendredi, par la Cour suprême, a pour effet de mieux protéger les employeurs les plus gros et les plus violemment antisyndicaux.

En effet, si le Wal-Mart de Jonquière avait «seulement» congédié quelques militants syndicaux en demeurant ouvert, un recours assez simple et efficace s'ouvrait aux syndiqués. C'eût été à Wal-Mart de justifier les congédiements.

Mais puisque Wal-Mart a choisi l'arme nucléaire et fermé son premier magasin syndiqué en Amérique du Nord... ce recours n'est pas possible, a tranché la Cour suprême.

Il est frappant de constater combien cette cour, parfois si audacieuse dans certains domaines du droit, devient prudente à l'extrême en droit du travail.

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À lire les motifs des deux groupes de juges, on devine qu'il y a eu une sérieuse bagarre idéologique dans la salle de réunion de la Cour suprême.

Pour le juge Ian Binnie, qui écrit pour la majorité de six juges, l'affaire est une pure question de procédure qui n'a rien à voir avec l'appréciation des pratiques de Wal-Mart.

Les employés du Wal-Mart de Jonquière auraient pu avoir droit à une compensation, écrit-il. Mais voilà, ils ont utilisé le mauvais article du Code du travail. Tant pis pour eux.

Pour la juge Rosalie Abella, qui écrit une vive dissidence au nom des trois minoritaires, ses collègues adoptent une interprétation beaucoup trop conservatrice du Code du travail qui revient à protéger les entreprises qui ferment pour des motifs antisyndicaux.

Elle a entièrement raison, à mon avis.

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Quand un salarié actif syndicalement se fait congédier, le Code du travail présume que son congédiement est une mesure de rétorsion antisyndicale. C'est à l'employeur de démontrer qu'il a été mis à la porte pour une raison juste et suffisante.

C'est cet article du Code du travail qu'invoquait Gaétan Plourde contre le Wal-Mart de Jonquière.

M. Plourde a échoué devant la Commission des relations de travail, selon laquelle une fermeture complète et véritable est en soi une cause suffisante de congédiement: il n'y a plus d'emploi.

Comme la réparation à un congédiement antisyndical peut aller jusqu'à la réintégration forcée de l'employé, les tribunaux estiment que ce mécanisme est inapplicable à ce genre de situation.

La décision de la CRT a été confirmée devant toutes les cours, et vendredi par la Cour suprême.

Il aurait fallu, écrit le juge Binnie, que M. Plourde utilise un autre article du Code du travail qui permet une réparation pour des gestes antisyndicaux d'un employeur. Par contre, c'est sur ses épaules qu'aurait reposé le fardeau de prouver les motifs antisyndicaux de Wal-Mart, ce qui complique passablement l'affaire.

Pour le juge Binnie, une fermeture pure et simple suppose un recours de tous les membres du syndicat, pas un recours d'un seul syndiqué. En cela, il suit la tradition jurisprudentielle québécoise des 30 dernières années.

La FTQ demandait précisément de faire table rase de cette jurisprudence, qui a pour effet paradoxal de protéger les employeurs qui utilisent l'arme antisyndicale suprême.

Quand on sait comment la Cour suprême a réécrit la jurisprudence au fil des ans dans toutes sortes de domaines, on a le droit d'être étonné de la voir se cramponner cette fois-ci à la tradition. D'autant plus que cette tradition part d'une décision québécoise de 1981, donc un an avant l'entrée en vigueur de la Charte des droits et libertés, qui garantit notamment la liberté d'association.

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Wal-Mart n'est pas une simple binerie qui décide de fermer en désespoir de cause. C'est la plus grosse société au monde. Ses plans d'ouverture et de fermeture de magasins font partie d'un plan stratégique. Il est assez évident que la fermeture de Jonquière servait d'avertissement aux autres magasins au Québec et ailleurs. Il va de soi également que son modèle d'affaires est férocement antisyndical.

Certes, comme l'ont dit souvent les tribunaux, on ne peut pas forcer une entreprise à demeurer ouverte contre son gré. Elle est libre de cesser ses activités. Mais la question n'est pas là, de dire la juge Abella à ses collègues, sur un ton mordant: «Il m'apparaît étrangement pléonastique de conclure que la fermeture d'une entreprise est une raison suffisante pour fermer une entreprise.»

Dans le cas de Jonquière, cette fermeture survient comme par hasard au moment où un arbitre s'apprête à imposer une première convention collective. Dans un contexte semblable, ce devrait être à l'employeur de démontrer que la fermeture était due à des motifs économiques, et non à une stratégie antisyndicale.

Ce n'est pas un fardeau insurmontable pour l'employeur. De très nombreuses causes ont donné raison à l'employeur ayant congédié des employés se livrant à des activités syndicales. Participer aux activités syndicales n'est pas un bouclier contre toute forme de congédiement.

Bien entendu, dans ce cas-ci, on ne peut pas réintégrer un employé dans une entreprise qui n'existe plus. Mais on peut lui verser une compensation, comme dans les nombreux cas où, en pratique, la réintégration n'est pas possible ou souhaitable.

La Cour suprême vient de rater une belle occasion de mettre à jour le droit du travail, inventé après tout pour empêcher les pratiques déloyales et abusives contre les salariés.

On ne lui demandait pas d'ébranler les fondements du capitalisme. Seulement de donner leur plein sens à des protections élémentaires.

Justement contre des employeurs du style de Wal-Mart.