Il y a une seule ville au Canada où les gens prennent moins de temps pour se rendre au travail qu'il y a 10 ans: Vancouver.

La raison saute aux yeux pour le voyageur occasionnel: on a bâti, bâti, bâti dans le centre de la ville, dense forêt vitrée vert et bleu.

 

On n'a pas construit en verre pour rien. Vancouver est tournée tout entière vers la contemplation de son environnement. Y a-t-il une seule autre grande ville qui soit à ce point aspirée par la nature qui l'entoure? En principe, une ville domine la nature. L'organise. En fait des parcs. Ici, c'est la nature qui définit la ville.

La montagne à la mer, ça existe. Il n'y a pas une heure entre les plages de la baie des Anglais et la montagne de ski.

On vous parle sans arrêt de plein air. Si l'on est sédentaire, mieux vaut le cacher ou avoir un billet du médecin. À écouter les gens de l'endroit, j'ai l'impression que ce qu'ils aiment le plus de la ville, c'est ce qu'ils font à l'extérieur.

«D'après ce que j'entends, on peut faire de la voile le matin, une excursion en montagne le midi, 100 km de vélo en soirée et de la plongée sous-marine le lendemain matin, ironise le professeur Anthony Perl, qui dirige la chaire d'études urbaines à Simon Fraser. Mais je vous avoue que je cherche encore quelqu'un l'ayant fait réellement...»

Il reste que depuis 20 ans, on a pratiquement redessiné le coeur de la ville. Granville Island et les berges de False Creek étaient occupées par des entrepôts et des installations industrielles. Des milliers de gens y habitent maintenant. On y trouve un marché qui pourrait se comparer au marché Atwater. Le village olympique a été construit sur la dernière parcelle disponible de False Creek.

Dans Gastown, le plus vieux quartier retapé de cette ville qui n'a que 124 ans, je rencontre Daniel Gaudreault, un avocat de 35 ans qui vient d'emménager après avoir vécu sur le Plateau et dans le Vieux-Montréal. Il est amoureux fou de la ville.

«J'ai l'impression que le Montréal des années 1960 devait avoir ce genre d'énergie, dit-il. C'est une ville ambitieuse, qui a plein de projets, et qui pense qu'elle peut être la meilleure au monde.»

Le nouveau maire Gregor Robertson, 45 ans, un ancien agriculteur bio et fondateur du fabricant de jus Happy Planet, incarne parfaitement cet esprit d'entreprise et cette confiance. Il séduit le monde des affaires comme la gauche néo-démocrate. Il promet que sa ville aura logé tous les sans-abri d'ici cinq ans et qu'elle sera la «capitale verte» du monde en 2020.

Gaudreault, un célibataire, loue pour 1600$ un appartement de 650 pieds carrés dans l'immeuble le plus «hot» en ville en ce moment, le Woodward, tout frais construit.

Au départ, c'était un magasin à rayons abandonné depuis 1993. Dix ans plus tard, quand il a été question d'y faire des condos, des groupes communautaires y ont organisé un squat qui a duré des mois. On est à deux rues de Downtown Eastside, réputé le quartier le plus poqué au pays, et les gens de l'endroit ne veulent pas qu'on «nettoie» leurs rues pour les nouveaux riches. Finalement, il fut décidé de construire une tour de 43 étages, une autre de 33, et dans celle-ci 200 logements sociaux - accessibles par une entrée séparée. Un compromis négocié entre le promoteur, le gouvernement et les militants locaux.

Le complexe comprend un théâtre expérimental. Robert Lepage y jouera Le dragon bleu la semaine prochaine, dans le cadre des Olympiades culturelles qui commençaient vendredi et qui durent deux mois.

Que l'on veuille aller dans le grouillant Gastown, dans la rue Robson (la grande artère commerciale) ou au bureau, les professionnels en moyens qui habitent ici n'ont que quelques minutes de marche à faire. Pour qui en a les moyens, en effet, Vancouver se marche.

On a déjà dit que les condos vitrés du centre-ville étaient achetés par des investisseurs, ou des millionnaires de passage qui n'habitaient pas vraiment la ville. Une ville de décor, de villégiateurs?

«C'était peut-être vrai quand je suis arrivé en ville, il y a cinq ans, dit le prof Perl. La moitié de mon immeuble était vide l'hiver. Ce n'est plus le cas. On dirait que plusieurs se sont fixés. Le centre-ville est maintenant très vivant.»

Que peuvent bien amener les Jeux olympiques à une ville si imbue d'elle-même, au fait?

«Vancouver, comme Montréal, a eu une exposition universelle qui a très bien fonctionné, dit M. Perl. Et dans les deux cas, on a voulu passer au niveau de reconnaissance internationale supérieur avec les Jeux olympiques. Se montrer. Ça peut être bon dans la mesure où c'est un succès. Montréal, après les Jeux, a cessé d'avoir la réputation d'une ville bien administrée. Vancouver, il faudra voir. La ville a une beauté très évidente, elle saute aux yeux. Nous serons beaux à la télé! Mais est-ce que ce concept de Jeux écologiques sera ce que le monde retiendra? Est-ce vraiment ce qui attirera des entreprises vertes de partout? Vancouver n'a pas l'âme des villes matures. C'est une ville jeune, adolescente, avec tout ce que ça comprend d'enthousiasme juvénile et de goût du risque. C'est une qualité. Mais ça veut aussi dire se lancer dans toutes sortes de projets, sans savoir exactement ce qu'on sera quand on sera grand.»

Mais on se lance, du moins.

Demain: Des Jeux verts, verts, verts...

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca