Bien sûr, les jurés dans l'affaire Norbourg ont trouvé la preuve «trop lourde et trop complexe». On les comprend.

Mais à part d'être complexe, cette preuve était-elle forte? Ces cinq accusés désignés comme complices n'étaient pas des Vincent Lacroix, il s'en faut de beaucoup.

Contre Lacroix, en effet, la preuve était une montagne. Ce n'est pas pour rien qu'il s'est avoué coupable avant même le début du procès.

Il y avait aussi de la très bonne preuve contre ses deux principaux complices, son cousin David Simoneau et Éric Asselin.

Sauf que... ces deux-là se sont précipités vers la police pour devenir délateurs.

En échange de leur collaboration, les policiers de la GRC leur ont accordé l'immunité. Ils ne seront pas poursuivis au criminel.

Après tout, ils allaient permettre de capturer le gros gibier : Lacroix.

Ce n'est pas la première fois qu'une entente se fait avec un délateur, bien sûr. Mais même en négociant avec des criminels, l'État accorde rarement l'immunité totale aux témoins qu'on dit « repentis ».

Asselin et Simoneau s'en tirent donc merveilleusement bien. On nous dira que c'était le prix à payer pour prendre Lacroix. En est-on vraiment certain ?

Ils allaient permettre de comprendre le fonctionnement frauduleux de Norbourg, certes. Et ils allaient permettre de faire accuser cinq employés ou collaborateurs de Vincent Lacroix - ceux qui devaient être jugés en même temps que lui, et dont le procès vient d'avorter.

Mais figurez-vous que le « témoin-vedette » Asselin n'a pas témoigné contre ces cinq-là. Quant à Simoneau, à ce qu'on comprend, il n'a fourni à peu près aucune preuve contre trois des cinq accusés, et pas grand-chose sur les deux autres.

Comme témoin-vedette, on déjà vu mieux.

Or, dans ce genre de dossier à faire bâiller d'ennui le plus patient des comptables, mieux vaut avoir un peu de mordant. Du genre : une vidéo montrant Conrad Black en train de sortir des boîtes de documents de son bureau.

Il n'y en avait manifestement pas.

Si bien que, d'après ce qu'on a pu apprendre dans ce fameux message du jury (une rareté, car un jury ne révèle jamais le secret de ses délibérations), les jurés étaient divisés à peu près également en deux camps.

Ce qui veut dire, au-delà de la complexité de l'affaire, que la moitié des jurés avaient un doute raisonnable sur la culpabilité de tous les accusés. Le juge Richard Wagner leur a demandé si, du moins, ils s'entendaient sur quelques-uns des 702 chefs d'accusation. Ils ont répondu non.

Il y avait de nombreuses preuves d'irrégularités auxquelles ont pris part ces cinq accusés. Mais les commettaient-ils en sachant que Lacroix fraudait les investisseurs ? C'est loin d'avoir été clair pour les jurés.

La poursuite devait connaître la faiblesse de sa cause, elle qui n'a dévoilé que le jour de l'ouverture du procès l'immunité accordée à Simoneau. La défense en a été à bon droit très fâchée.

Mais, quoi qu'il en soit, il y a des os dans cette preuve, et pas seulement parce qu'elle tient sur des dizaines de milliers de pages de transferts bancaires de toutes sortes.

L'issue d'un deuxième procès est donc loin d'être aussi automatique qu'on est tenté de le croire.

***

Pour cette prise deux (car elle aura sans doute lieu), il faut donc absolument que la poursuite révise sa stratégie.

Alléger ses accusations ne veut pas pour autant dire viser une peine moindre. Il est possible de synthétiser et de ne pas obliger les citoyens à rendre 702 verdicts. On vous dira que, en fait, ils se regroupaient tous par grandes catégories. Sans doute. Mais on n'est pas tous juristes pour jouer dans ces catégories.

En fait, on avait préparé une superproduction judiciaire pour un personnage principal qui s'est défilé. Faudrait revoir à la baisse et à la clarté.

En attendant qu'Ottawa donne des pouvoirs de gestion complets aux juges, espérons que le prochain ne reprenne pas toutes les discussions de droit de l'affaire.

***

Le procès a fait ressortir que la GRC avait caché l'existence de son enquête à l'AMF, en 2005. Asselin était allé tout dire à la GRC en juin 2005... mais l'AMF n'en savait rien. Ce n'est qu'en août que l'AMF a obtenu sa collaboration. Les gendarmes fédéraux, jaloux de leur preuve, lui avaient dit de ne pas se livrer à l'AMF, de peur de « contaminer » leur dossier.

Résultat, peut-on penser : l'intervention de l'AMF a été retardée et la fraude a duré deux mois et demi de plus à l'été 2005.

On a créé divers groupes de travail entre l'AMF et les corps policiers. Mais si on veut en arriver à lutter un peu efficacement contre les crimes financiers, il va falloir faire comme avec d'autres grandes criminalités : mettre vraiment les expertises en commun.

Cela aurait des effets bénéfiques tant sur la surveillance des marchés que sur la marche des procès...