Les accusations autorisées contre Jocelyn Dupuis et les nouvelles révélations de Radio-Canada sur la mafia syndicale de la construction nous rapprochent un peu plus d'une commission d'enquête.

Pourquoi? Parce que, on le voit de plus en plus clairement, on n'est pas en face d'incidents isolés mais de systèmes qui pourrissent tout un milieu, qui empêchent des gens de travailler, qui enrichissent indûment des gens et qui coûtent cher au Québec.

 

La stratégie policière du gouvernement Charest risque maintenant de se retourner contre lui. À mesure que seront portées les accusations criminelles dans le milieu de la construction, il pourra dire: vous voyez, la police fait son travail, nul besoin d'une commission d'enquête.

Le problème, c'est que les accusations risquent au contraire de confirmer le besoin de crever un abcès.

Le cas de Jocelyn Dupuis, maintenant accusé de trois crimes, en est l'exemple parfait. Certes, à première vue, il s'agit d'accusations relativement banales qui tournent autour de notes de frais gonflées. On parle du détournement d'environ 100 000$ de l'argent des membres. Mais rien de formidablement mafieux.

Ce n'est donc pas grand-chose, c'est-à-dire rien qui parle des liens de cet ancien directeur général de la FTQ-Construction avec le milieu du crime organisé. Car, on le sait, M. Dupuis a été en contact avec divers gens du milieu criminel, d'un membre des Hells à un ex-lieutenant de la mafia recyclé dans la construction.

Mais à part ces accusations de fraude et de fabrication de faux, il est aussi accusé d'avoir tenté de faire fabriquer une fausse facture pour rembourser des rénovations de 11 000$ au chalet d'Yves Mercure. Il a tenté de convaincre le secrétaire-trésorier de produire une facture pour faire rembourser Mercure. Le secrétaire-trésorier a refusé.

Cela nous montre qu'il y a des gens honnêtes à la FTQ-Construction. Mais ça nous indique aussi que Dupuis tentait d'obtenir un avantage frauduleux pour M. Mercure... qui est devenu président de la FTQ-Construction!

M. Mercure n'est accusé de rien. Mais que s'est-il passé pour que Dupuis se sente autorisé à faire une telle manoeuvre? Avait-il réussi par le passé? Était-ce un truc pour corrompre des dirigeants et les mettre de son côté?

Tout donne à croire que Dupuis manipulait beaucoup plus que ses notes de frais pharaoniques.

Qu'en est-il de son ancien supérieur, Jean Lavallée, qui était président de la FTQ-Construction et qui a quitté son poste à peu près à la même époque? Il n'a rien vu.

Le président de la FTQ, Michel Arsenault, a dit qu'il se ferait rembourser ce qui aura été payé en trop. Mais la FTQ a versé une indemnité de départ de 140 000$ à Jocelyn Dupuis, qui a de nombreux appuis dans le milieu. A-t-il placé son monde avant de partir?

Dernier élément: la SQ enquête depuis maintenant trois ans sur le travail au noir dans la construction. C'est dans ce cadre qu'on a découvert les liens étonnants entre Dupuis et des gens du crime organisé. Mais c'est l'enquête de Radio-Canada qui a mis au jour l'histoire des dépenses exorbitantes de Dupuis. Ces accusations ne sont donc pas le fruit de l'escouade Marteau, créée en octobre 2009 pour répondre aux scandales dans le monde de la construction.

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Pour ce qui est des révélations d'Enquête sur l'intimidation dans les chantiers de la Côte-Nord, elles confirment ce qu'a dit le juge Robert Lesage en 2005, dans l'enquête sur la Gaspésia. Il a recommandé de modifier les lois du travail pour mettre fin à la discrimination syndicale et à l'intimidation qui avaient pourri ce chantier.

Évidemment, à l'époque, la FTQ a dit que c'était un tissu de balivernes. Et comme il peut être dangereux physiquement ou financièrement de parler contre ce système, tout ça a été enterré.

Eh bien! cette fois, des travailleurs de la Côte-Nord ont parlé. C'est d'ailleurs la bonne nouvelle, dans tout cela: de plus en plus de travailleurs, de tous les syndicats, en ont marre et parlent.

Encore une fois, le gouvernement a demandé à la SQ d'enquêter... après une enquête journalistique.

Toutes ces enquêtes en pièces détachées, plus celles qui sont en cours, donneront peut-être des résultats. Mais elles ne tueront pas les systèmes.

Il faudra y venir, il faudra exposer le fonctionnement de ces petites mafias. Et recommencer le ménage entrepris après la commission Cliche.

Cette odeur, ce n'est pas seulement le printemps. Ça sent la commission...