Alors que s'achève cette campagne électorale, La Presse dresse un triste constat: aucun des partis politiques fédéraux n'a fait la preuve qu'il est vraiment prêt à gouverner le pays en cette période de profonde incertitude économique. Nous ne sommes donc pas en mesure d'accorder notre appui à l'une ou l'autre des formations en présence.

En 2006, La Presse avait appuyé le Parti conservateur, et ce, malgré les inquiétudes que suscitaient certains aspects de son programme. Nous espérions qu'une fois au gouvernement, le parti de Stephen Harper ferait preuve de modération, serait sensible aux voeux de la majorité des Canadiens qui n'avaient pas voté pour eux et fidèles aux grandes valeurs et traditions canadiennes. Malheureusement, à plusieurs égards, le gouvernement Harper nous a profondément déçus; les conservateurs ne méritent certainement pas la majorité qu'ils espéraient à la ligne de départ de la campagne.

 

Dans quelques domaines importants, le gouvernement sortant a bien fait. La motion sur la nation québécoise a en partie assouvi la soif de reconnaissance des Québécois. Le règlement du déséquilibre fiscal a remis de l'ordre dans le système fédéral de transferts et donné de l'oxygène aux provinces, en particulier au Québec.

Par contre, dans une foule d'autres dossiers, le gouvernement conservateur a été d'une rare incompétence. Il a mis des mois à admettre que le Canada devait disposer d'un solide plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En matière économique, la baisse de deux points de la TPS a littéralement gaspillé plus de 10 milliards, une somme qui serait bien utile aujourd'hui.

Plusieurs des ministres de premier plan ont livré une performance lamentable. M. Harper lui-même a souvent agi de manière têtue et malavisée, notamment en matière de politique étrangère. Ce fut vrai en ce qui a trait aux relations du Canada avec la Chine, un géant économique et politique incontournable que le premier ministre a sciemment négligé par obstination idéologique.

L'entêtement: là est le talon d'Achille de M. Harper. Si le chef conservateur est certes un homme intelligent dont on apprécie parfois la capacité de décision, son refus systématique de corriger le tir lorsqu'il s'est visiblement trompé suscite l'inquiétude chez nous comme chez beaucoup de Canadiens. De plus, on le sent insensible aux préoccupations des gens lorsque celles-ci ne cadrent pas avec ses propres idées. C'est ce qui est ressorti au cours de cette campagne, alors qu'il a ignoré la furie des Québécois au sujet des compressions en culture et du renforcement des peines pour les jeunes contrevenants. Alors qu'il a, aussi, manqué maintes occasions de rassurer les Canadiens au sujet de l'ouragan économique et financier qui balaie la planète.

Si les conservateurs ne nous paraissent pas à la hauteur des défis qui confrontent le Canada d'aujourd'hui, qu'en est-il des autres partis? L'histoire politique du pays nous amène à nous tourner vers l'autre grande formation nationale, le Parti libéral. Malheureusement, nous n'y trouvons pas un parti bien préparé à prendre la relève.

Idéaliste et d'une intégrité indiscutable, Stéphane Dion a mené une bien meilleure campagne que ce que prédisaient les analystes et les militants de son propre parti. Pour notre part, connaissant les qualités de l'homme, nous n'avons pas été surpris. Cependant, cette bonne performance ne saurait faire oublier les graves difficultés qu'il a eues dans la gestion de sa formation, difficultés qui soulèvent bien des doutes quant à ses talents de leader.

Le Parti libéral reste une formation profondément divisée entre deux camps rivaux, ce qui fragilise d'autant le leadership de M. Dion. En outre, le parti est mal en point au Québec, où M. Dion n'a pas su rétablir les ponts avec l'aile plus nationaliste du PLC.

Même si les libéraux ont semblé saisir plus rapidement que les conservateurs la gravité de la crise économique, le plan présenté par M. Dion en plein débat des chefs est beaucoup plus cosmétique qu'autre chose. De plus, l'époque actuelle de turbulence économique et de chute des prix des matières premières paraît particulièrement mal choisie pour mettre en branle la vaste réforme fiscale envisagée par le Tournant vert dont le chef libéral a fait sa bible.

Au Québec, le Bloc québécois demeure incontestablement une puissance politique. Son chef, Gilles Duceppe, a encore une fois mené une campagne très efficace, démontrant combien il est proche des sensibilités de l'électorat québécois.

Le Bloc exprime de façon éloquente la vision québécoise nationaliste des enjeux. Certains de ses députés ont bien fait leur travail de parlementaires et méritent la confiance de leurs commettants.

Cela dit, l'objectif premier des bloquistes reste la promotion de l'indépendance du Québec, un objectif que, comme chacun sait, La Presse ne partage pas. De plus, les Québécois ayant choisi de demeurer au sein de ce pays, il nous paraît malsain qu'ils se privent d'une représentation forte dans les partis nationaux qui peuvent prétendre à le gouverner.

C'est pourquoi nous invitons les électeurs québécois à faire leur choix en considérant quel candidat, dans leur circonscription, sera mieux à même de défendre leurs intérêts à Ottawa, en particulier au sein du prochain gouvernement. Certes, la présence de Québécois autour de la table du conseil des ministres n'est pas une garantie que les décisions du fédéral seront toujours avantageuses pour le Québec. Toutefois, une chose est sûre: moins il y a de ministres solides du Québec, moins les intérêts de la province seront pris en compte. Les électeurs québécois le savent, l'adage ne se trompe pas: les absents ont toujours tort.

apratte@lapresse.ca