Si la déclaration d'amour de Nicolas Sarkozy pour le Canada a démonté les leaders souverainistes, elle a suscité chez les politiciens fédéralistes un triomphalisme injustifié. Les ministres fédéraux Lawrence Cannon et Josée Verner, de même que la ministre provinciale Monique Gagnon-Tremblay, ont tous réagi comme si les propos du président français représentaient une victoire historique pour leur courant politique. Il n'en est rien.

Il y a 41 ans, le premier ministre canadien, Lester Pearson, avait qualifié d'«inacceptable» le «Vive le Québec libre!» de de Gaulle. Depuis ce temps, les fédéralistes ont toujours déploré que certains politiciens français expriment plus ou moins discrètement leur sympathie pour le mouvement souverainiste. S'ils applaudissent aujourd'hui à tout rompre l'intervention de M. Sarkozy, la plus directe depuis celle de l'illustre général, comment pourront-ils à l'avenir s'offusquer de celles des alliés français du Parti québécois? Le premier ministre Charest a fait preuve de plus de sagesse en refusant de commenter la déclaration de son invité.Il est certes instructif de prendre connaissance du point de vue de l'actuel président de la République sur le fédéralisme canadien, lui qui voit les choses avec à l'esprit l'état de l'Europe et du monde. Mais quoi que dise aujourd'hui M. Sarkozy, cela aura bien peu d'impact le jour où - si ce jour advient - les Québécois devront à nouveau se prononcer sur leur avenir politique. C'est eux qu'il faut convaincre, pas les politiciens étrangers.

Or, à l'heure actuelle, relativement peu de Québécois partagent l'enthousiasme exprimé par Nicolas Sarkozy pour le projet canadien. Le président a dit du fédéralisme d'ici qu'il «décline un message de respect de la diversité et d'ouverture». C'est aussi notre profonde conviction, mais combien de Québécois en croient autant?

Si le mouvement souverainiste se retrouve affaibli depuis quelques années, cela ne s'est malheureusement pas traduit par une adhésion plus grande au Canada ou au fédéralisme. On en a eu la plus récente démonstration, il y a une semaine, alors que les électeurs québécois ont encore une fois délégué à Ottawa une forte majorité de députés indépendantistes. Il se dégage de ce résultat la désagréable impression que bon nombre de Québécois, tout en rejetant l'indépendance, ne s'intéressent plus au Canada et se moquent d'avoir ou non un rôle à jouer dans son gouvernement.

On peut aussi constater la faiblesse de l'idée fédérale dans la transformation extrême de Jean Charest, autrefois perçu comme «le premier ministre québécois le plus fédéraliste de l'histoire». Le premier ministre rivalise aujourd'hui de nationalisme et de provincialisme avec ses adversaires du PQ et de l'ADQ.

La faiblesse du courant fédéraliste québécois se voit aussi par ses difficultés à recruter des candidats de gros calibre, capables de promouvoir le projet canadien de façon convaincante. En fin de compte, c'est peut-être cette absence de porte-parole forts qui explique la réaction dithyrambique des fédéralistes à la bombe lancée par M. Sarkozy: en quelques mots, il a mieux défendu l'idée fédérale que les fédéralistes québécois eux-mêmes ne l'avaient fait depuis belle lurette.