Moins de deux mois après avoir été reporté au pouvoir, Stephen Harper vient de trahir la confiance que les Canadiens avaient placée en lui. L'électorat lui avait confié le mandat de gérer la crise économique; le premier ministre préfère profiter de cette crise pour se livrer à de basses manoeuvres partisanes.

M. Harper risque ainsi de plonger le pays dans une impasse politique que seul un scrutin ou une intervention de la gouverneure générale pourra dénouer. Il s'agit d'un des gestes les plus irresponsables de l'histoire politique canadienne.

 

La conjoncture exige vision et sagesse. L'énoncé économique présenté hier par le ministre des Finances ne contient ni l'une ni l'autre. Au lieu de proposer des mesures qui limiteraient l'impact de la turbulence internationale sur le Canada, M. Flaherty annonce des décisions destinées à satisfaire les caprices idéologiques de son parti, par exemple l'abolition du programme d'équité salariale.

Pire que tout, M. Flaherty a décrété la fin de la subvention versée aux partis politiques. Cette subvention - 1,75$ par vote obtenu - s'ajoute au système de remboursement des dépenses électorales et au crédit d'impôt pour contribution aux partis politiques. Depuis qu'il est interdit aux personnes morales de verser des dons aux partis, ces derniers comptent sur la subvention pour financer leurs activités. Seuls les conservateurs pourraient s'en passer grâce au redoutable système de financement populaire qu'ils ont mis en place.

C'est cousu de fil bleu, le seul objectif de cette mesure, c'est d'étrangler financièrement les partis de l'opposition. M. Flaherty a beau prétendre qu'il s'agit d'économiser des fonds publics, personne ne le croit. La somme ainsi épargnée - 28 millions - est une gouttelette d'eau dans les dépenses fédérales.

Si les conservateurs croient sincèrement que cette subvention n'a pas sa raison d'être, qu'ils déposent un amendement à la loi électorale. Nul besoin d'inclure ce changement dans un projet de loi de nature budgétaire soumis à un vote de confiance.

M. Harper tente là un autre de ses coups fourrés: convaincu que les libéraux n'oseront pas le renverser, il veut les forcer à signer leur propre arrêt de mort financière. C'est d'un cynisme à faire pâlir Machiavel.

Les formations de l'opposition n'auront pas le choix, elles devront voter contre le projet de loi, leur survie en dépend. Si cela arrive, le gouvernement sera battu en Chambre. Il reviendra à Michaëlle Jean de décider si elle dissout le Parlement ou si elle demande aux libéraux de tenter de former un gouvernement de coalition. Quel que soit le scénario retenu, pendant des semaines cruciales pour l'économie du pays, les politiciens fédéraux consacreront toutes leurs énergies aux tactiques politiques.

«Le monde entre dans une période économique potentiellement dangereuse, qui ne ressemble en rien à ce qu'on a affronté depuis 1929», disait le premier ministre en fin de semaine. Comment ose-t-il, après avoir dressé un tel constat, verser dans une partisanerie aussi crasse?

Stephen Harper doit laisser tomber cette mesure odieuse. Sinon, il faudra conclure qu'il n'est pas digne du poste de premier ministre du Canada.

apratte@lapresse.ca