La Cour suprême a entendu la semaine dernière de nouvelles contestations de la Charte de la langue française du Québec. La décision du plus haut tribunal du pays ne sera pas rendue avant plusieurs mois mais on peut d'ores et déjà prévoir que si les juges invalident ne serait-ce qu'une virgule de la Charte, la réaction sera vive dans les milieux indépendantistes tandis que chez les fédéralistes, on tentera de calmer le jeu. Pourtant, certaines des questions soulevées devant les juges sont délicates et méritent d'être considérées hors la lorgnette idéologique de chacun.

Les articles contestés ne faisaient pas partie de la loi 101 originale, mais ont été ajoutés en 2002. Le gouvernement Landry a alors voulu colmater ce qu'il percevait, à juste titre, comme des brèches dans la loi, brèches permettant à des Québécois francophones et à des nouveaux arrivants d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise.

En vertu de l'article 73, lorsqu'il évalue le droit d'un enfant d'étudier en anglais, le ministère de l'Éducation ne doit pas tenir compte de la scolarité préalablement faite dans une école privée non subventionnée de langue anglaise. Cet amendement a été apporté au texte de la loi parce que des centaines de parents envoyaient leur enfant pour un an ou deux dans un tel établissement, profitant du fait que les écoles non subventionnées ne sont pas régies par la Charte de la langue française. Ils réclamaient ensuite que l'enfant, et donc sa fratrie et leurs descendants, puissent poursuivre sa scolarité dans le réseau public anglophone.

Dans un jugement alambiqué, la Cour d'appel du Québec a donné raison aux parents qui contestent cet article. En appel devant la Cour suprême, le gouvernement québécois a reçu sur ce point l'appui d'Ottawa ; les deux gouvernements estiment que ce passage de la loi 101 est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. Les tribunaux, souligne Québec, doivent éviter «d'être dupes de l'utilisation de subterfuges». «Tolérer la passerelle des écoles privées non subventionnées envoie inévitablement le message qu'il existe deux classes de citoyens au Canada, ceux dont la richesse personnelle permet de se forger un droit constitutionnel (...) et ceux qui s'en voient privés», font aussi remarquer les avocats du gouvernement.

La loi 101 prévoit que certains enfants peuvent obtenir une autorisation particulière du ministère de l'Éducation leur permettant de fréquenter l'école anglaise. Ces autorisations sont accordées aux enfants d'étrangers qui séjournent temporairement au Québec, de même qu'à ceux qui souffrent de problèmes d'apprentissage ou qui vivent une situation grave d'ordre familial ou humanitaire. En 2002, le gouvernement a modifié la loi pour éviter que ces autorisations ne permettent aux enfants concernés d'obtenir le droit, pour eux, leur fratrie et leurs descendants, de fréquenter l'école anglaise. Il s'agissait d'éviter que ces autorisations particulières ne se transforment en droit constitutionnel.

Dans le cas des personnes qui, après un séjour temporaire au Québec, décident de s'y installer en permanence, le raisonnement du gouvernement est blindé. L'exemption a été obtenue parce que le séjour était temporaire. Si le parent s'installe à demeure, il doit être soumis aux mêmes exigences que tous les autres Québécois; ses enfants doivent étudier à l'école française.

Dans le cas des autorisations obtenues pour des raisons pédagogiques, familiales et humanitaires, la question est plus difficile à trancher. Si un enfant vivant de graves difficultés est autorisé à fréquenter l'école anglaise, ne devrait-on pas permettre à ses frères et soeurs de faire de même, par souci d'unité familiale? Le ministère ne devrait-il pas au moins considérer cet aspect du problème dans chaque cas plutôt que de l'exclure d'office? Si la Cour suprême se prononce en ce sens, il n'y aura pas de quoi manifester dans les rues; le nombre d'enfants concernés est très petit et la décision ultime appartiendra toujours, dans chaque cas, au gouvernement.

Une décision du tribunal invalidant l'article 73 (écoles privées non subventionnées) aurait des conséquences beaucoup plus néfastes. Le gouvernement du Québec serait alors justifié de limiter l'accès aux écoles privées ; en définitive, ce sont les minorités culturelles québécoises qui feraient les frais de la situation.