Une des images les plus profondément ancrées dans la mémoire collective, au sujet de la crise de 1929, est celle de ces investisseurs qui, ayant tout perdu, se jetaient par les fenêtres des édifices de Wall Street. Cette image relève pourtant de la légende urbaine, comme l'a montré l'économiste John Kenneth Galbraith dans son célèbre ouvrage sur le krach. Peut-être y a-t-il eu un suicide ou deux liés à la crise, mais il s'agissait de cas isolés, les statistiques ne révélant pas de hausse significative du taux de suicide pendant cette période.

La crise de 2008 aura, elle, poussé au moins un homme d'affaires à s'enlever la vie. René-Thierry Magon de la Villehuchet a été retrouvé mort mardi matin dans son bureau new-yorkais. M. de la Villehuchet dirigeait un fond ayant investi 1,4 milliard auprès du financier Bernard Madoff, qui a reconnu avoir floué des investisseurs de quelque 50 milliards.

Ce tragique incident s'ajoute aux multiples répercussions de la crise financière, répercussions de plus en plus inattendues, de plus en plus étendues et de plus en plus graves. Qui aurait cru que Toyota serait touchée au point d'enregistrer ses premières pertes depuis 70 ans?

L'image des tours du World Trade Center vient à l'esprit : en s'effondrant, les gratte-ciel projettent des milliers de tonnes de débris et de poussière sur la foule qui fuit dans tous les sens. Ce ne sont pas des terroristes qui ont eu raison de l'audacieux immeuble bâti au cours des dernières années par les ingénieurs de la finance internationale. C'est la combinaison d'une longue série d'erreurs, d'excès, de nonchalance et de complicités.

L'échafaudage reposait sur cette éternelle faiblesse de l'être humain, l'appât du gain. Chacun, petit ou gros investisseur, était à la recherche d'un rendement supérieur et disposé à croire sur parole celui qui le lui garantissait. La pyramide était aussi d'une complexité inouïe, complexité qui séduisait et étourdissait à la fois. Qui sait précisément ce que sont des «CDO synthétiques»? Pourtant, des milliers d'investisseurs dans le monde entier - y compris des municipalités, des commissions scolaires et des caisses de retraite - ont acheté de ces instruments financiers qui, aujourd'hui, risquent de leur faire perdre tout leur capital.

L'appât du gain et la complexité croissante des produits financiers ont ouvert la porte toute grande aux fraudeurs, Madoff étant loin d'être le seul. Le tout sous l'oeil distrait, sinon complaisant, des autorités réglementaires.

On aura beau se la souhaiter bonne, 2009 sera, au mieux, une année grise. Qui sait ce qu'on trouvera sous les ruines du gratte-ciel financier? Qui sait combien de temps il faudra pour rebâtir un système sain?

On identifiera et punira les coupables, on localisera et colmatera les failles. Pourtant, à la base, cette crise aura eu la même origine que celle de 1929 : la nature humaine. Citons Galbraith : «Les Américains s'étaient bâti un monde de chimères spéculatives. Ce monde était habité non par des gens qu'il fallait convaincre de croire mais par des gens qui cherchaient des excuses pour croire.»

En 2008 comme 79 ans plus tôt, c'est un monde de chimères qui s'est écroulé.