Après les notes de service du ministère américain de la Justice approuvant les techniques musclées d'interrogatoire contre les détenus de la CIA, un rapport de la Commission sénatoriale des Forces armées, publié mercredi, suscite à son tour un sentiment de dégoût. Le rapport retrace l'origine de ces techniques et montre comment leur utilisation s'est rapidement répandue partout où les Américains détenaient des personnes soupçonnées de terrorisme.

Les méthodes en question sont dérivées de celles qu'employaient les Chinois pendant la guerre de Corée. Après le 11 septembre 2001, la Défense et la CIA ont demandé à l'équipe chargée de préparer les soldats américains à une éventuelle capture d'entraîner leurs membres à utiliser ces techniques ennemies.

 

D'abord réservées aux dirigeants d'Al-Qaeda détenus par la CIA dans des prisons secrètes, ces façons de faire se sont répandues à Guantánamo, en Afghanistan et en Irak et ont été employées à grande échelle jusqu'au scandale d'Abou Ghraib. L'autorisation accordée par le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, «a envoyé le message que des pressions physiques ou dégradantes constituaient un traitement approprié contre les personnes détenues par les États-Unis. Il s'en est suivi une érosion des standards exigeant que des prisonniers soient traités humainement», conclut la commission.

Ceux qui se demandaient si, face à la menace terroriste, les démocraties ne devaient pas se résigner à employer certaines formes de torture dans l'espoir d'obtenir des informations cruciales, ceux-là ont leur réponse: une fois les pieds sur cette pente savonneuse, il est bien difficile de s'arrêter. «Nous avons perdu nos repères moraux», a résumé le président Obama.

Le recours à la torture cause aux démocraties des dommages plus importants et plus durables que toute information qu'il permettrait de soutirer. Notamment, il leur devient impossible de dénoncer les actes de torture commis par d'autres pays. Car entre les interrogatoires musclés qui ont eu cours dans les prisons américaines et les mauvais traitements infligés dans les geôles des dictatures, il n'y a plus qu'une différence de degré, pas de nature.

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Chez nous, le gouvernement Harper s'entête à laisser le jeune Canadien Omar Khadr croupir dans sa cellule de Guantánamo. Jeudi, un juge de la Cour fédérale a ordonné à Ottawa d'intervenir auprès des autorités américaines pour qu'elles permettent le rapatriement de Khadr. Le gouvernement a annoncé hier qu'il portait le jugement en appel. Selon le premier ministre, «les faits n'ont pas changé.»

Les faits n'ont pas changé? Voyons donc! M. Obama a annoncé la fermeture de Guantánamo et suspendu les procédures contre les détenus de la base. Washington reconnaît que ces détenus ont été soumis à la torture. Et la Cour fédérale affirme qu'Ottawa viole la Charte canadienne des droits en restant assis sur ses mains.

L'attitude du gouvernement conservateur dans ce dossier reste incompréhensible et révoltante. On en vient à se demander si M. Harper lui-même n'a pas perdu ses repères moraux.