La Cour suprême a invalidé un article de la Charte de la langue française visant à empêcher que des enfants francophones ou allophones obtiennent le droit de fréquenter l'école anglaise après un bref passage par une école privée non subventionnée (donc non soumise à la loi 101).

Ce jugement unanime est tout simplement consternant. Il en résultera l'illogisme suivant. Un parent francophone ou allophone souhaitant que ses enfants étudient en anglais, mais qui est sans le sou, devra se soumettre à la Charte et faire une croix sur ce projet. Un parent se trouvant dans exactement la même situation, mais qui a les moyens d'envoyer son premier rejeton deux ou trois ans à l'école privée anglaise obtiendra, pour l'enfant, sa fratrie et leurs descendants, le droit d'étudier en anglais. Autrement dit, grâce à la Cour suprême, le droit à l'enseignement en anglais s'achètera pour quelques milliers de dollars!

 

Quelle sera l'ampleur de cette brèche? Difficile à dire. Dans le jugement publié jeudi, la Cour condamne clairement les brefs passages par l'école privée non subventionnée qui ne visent qu'à contourner les exigences de la loi 101: «Un court passage dans une école de la minorité ne témoigne pas d'un engagement réel et ne peut suffire, à lui seul, à obtenir le statut d'ayant droit.» Les parents francophones et allophones souhaitant obtenir pour leur progéniture le droit d'étudier en anglais devront vraisemblablement envoyer un de leurs enfants à l'école privée non subventionnée deux ou trois ans, puis les déraciner afin de les transférer dans une école publique. À moins qu'ils n'attendent le passage à l'école secondaire. Combien de parents seront prêts à faire subir un tel parcours à leurs petits et à payer les sommes requises?

Avant même que la Charte de la langue française soit amendée en 2002 pour abattre cette passerelle, l'effet global du subterfuge restait marginal. En 2007-2008, 79% des enfants allophones du Québec étudiaient en français. Ce pourcentage est stable depuis 1993-1994. La Cour suprême reconnaît «les dangers que l'expansion illimitée des écoles privées non subventionnées pourrait présenter pour les objectifs de préservation et d'épanouissement de la langue française au Québec». C'est sans doute pourquoi elle donne un an au gouvernement de la province pour trouver une façon de respecter les exigences de la Constitution sans pour autant ouvrir toutes grandes les portes de l'école anglaise aux allophones et aux francophones.

N'en déplaise aux souverainistes, la loi 101 n'a pas été charcutée par la Cour suprême au fil des années; tout au plus a-t-elle été égratignée. Cependant, même si Québec parvient à en limiter la portée concrète, ce dernier jugement va semer la confusion dans l'esprit des allophones et des francophones quant à l'obligation d'envoyer leurs enfants à l'école française. C'est une confusion dont le Québec se serait bien passé.