Depuis le tremblement de terre de mardi, on s'est beaucoup posé la question: pourquoi? Pourquoi tant de souffrance imposée au peuple haïtien? Après la dictature, l'anarchie, la pauvreté, les ouragans, les glissements de terrain, voici qu'un tremblement de terre frappe. Dans un pays disposant de si peu d'infrastructures, si mal organisé, c'est la pire catastrophe naturelle imaginable. Surtout que ce séisme a fait preuve d'une sorte de sadisme: l'aéroport et le port ont été endommagés, ce qui ralentit considérablement l'acheminement de l'aide humanitaire.

Pourquoi? La reconstruction intelligente de Port-au-Prince dépend peut-être de la réponse qu'on donne à cette interrogation.

LA MALÉDICTION - Rejetée catégoriquement par les élites intellectuelles, cette thèse n'en reste pas moins répandue dans la population, dit-on. Les Haïtiens paieraient pour quelque faute commise dans le passé. «Nous pensons qu'Haïti est pauvre, non parce qu'il n'y a pas de ressources dans le pays, mais parce que nous sommes sous la malédiction de Dieu», a déjà soutenu un pasteur local bien connu. «Il n'y a pas de malédiction haïtienne: il n'y a qu'un peuple qui tente de vivre comme d'autres», rétorque Dany Laferrière.

LES ÉTRANGERS - Beaucoup d'Haïtiens et d'observateurs estiment qu'Haïti est surtout victime du pillage et des manigances des puissances étrangères. D'abord la France, qui exigea un prix fort pour consentir à l'indépendance. Ensuite les États-Unis, qui occupèrent le pays de 1915 à 1934 et ne cessent depuis de se mêler de ses affaires (soutien au régime Duvalier, coup d'État contre Aristide). Le romancier Jean Métellus écrit: «La communauté internationale ne s'occupe qu'épisodiquement d'Haïti, essentiellement lorsqu'il y a des morts en grand nombre. Mais elle autorisa (de 1991 à 1994) l'embargo qui engendra une situation économique catastrophique.»

LA BOURGEOISIE - La bourgeoisie haïtienne s'est longtemps contentée de s'enrichir sans se soucier du bien-être de la population ou de la nécessité de doter le pays d'un régime politique et économique plus juste, et donc durable. Même des membres de cette élite la décrivent comme «un clan d'individus aussi fortunés qu'arriérés, culturellement pauvres, brutalement matérialistes, bêtement égoïstes, apatrides, ayant une haine et une peur viscérales du peuple, une vision étroite de l'économie haïtienne et une perception très limitée de la nation», a écrit l'économiste Rose Nesmy Saint-Louis.

Pourquoi? Alors que, de notre pays si confortable, nous voyons les Haïtiens souffrir, la question nous hante.