Les politiciens indépendantistes aiment dénoncer l'industrie pétrolière albertaine. Cela leur permet de mettre en évidence le fossé entre la prétendue vertu environnementale du Québec et l'économie bitumineuse du reste du pays.

À cet argument environnemental vient de s'en ajouter un de nature économique, fourni par l'intellectuel le plus brillant du mouvement souverainiste, Jean-François Lisée. Dans son excellent blogue sur le site de L'actualité, M. Lisée a soutenu la semaine dernière, étude à l'appui, que la montée de la valeur du dollar canadien par rapport à la devise américaine, causée par la hausse des prix du pétrole, a coûté 55 000 pertes d'emplois à l'industrie manufacturière du Québec entre 2002 et 2007. «Ce déplacement de l'économie canadienne en faveur de son pôle pétrolier est l'équivalent de sables mouvants qui engloutissent inexorablement les emplois québécois», a-t-il écrit.

 

Cette analyse est simpliste. Bien sûr, la montée du huard a exacerbé les difficultés de nos industries manufacturières. Toutefois, celles-ci faisaient déjà face à des problèmes structurels. Il est probable que les pertes d'emplois que déplore M. Lisée se seraient produites plus tôt n'eût été la faiblesse du dollar (causée par... le bas niveau des prix du pétrole) pendant les années 90. D'ailleurs, la diminution de l'emploi manufacturier est un phénomène vécu par toutes les économies développées. Partout, l'emploi se déplace vers le secteur des services. C'est aussi ce qui se passe au Québec. De sorte que malgré les pertes d'emplois notées par Jean-François Lisée, le taux de chômage dans la province a atteint son niveau le plus bas en 30 ans.

«L'intérêt stratégique du Québec est de réduire le plus rapidement possible sa part du pétrole dans sa consommation (...). L'intérêt stratégique du Canada est de favoriser de tous les moyens possibles les produits pétroliers», a affirmé le commentateur de L'actualité. C'est une énième version de la vision souverainiste: les différences entre le Québec et le reste du Canada seraient irréconciliables.

Toutefois, pour faire cette démonstration, M. Lisée a recours à la caricature. L'Alberta n'est pas le Canada. La plupart des autres provinces, notamment l'Ontario, se trouvent dans la même situation que le Québec, consommatrices plutôt que productrices de pétrole.

Le raisonnement des leaders souverainistes au sujet des effets néfastes de l'industrie pétrolière de l'Ouest mène évidemment à la conclusion que le Québec doit se séparer du Canada. La thèse ne tient pas. Aux dernières nouvelles, les indépendantistes souhaitent qu'un Québec indépendant conserve le dollar canadien comme devise. Séparé, le Québec serait donc tout aussi vulnérable aux mouvements du taux de change du huard qu'il l'est aujourd'hui. Toutefois, son influence sur les décisions du gouvernement fédéral en matière d'environnement serait nulle.