Le recensement de 2006 contient une donnée, que peu de gens ont remarquée, sur les transferts linguistiques des immigrants installés au Québec. Quant on regarde quelle proportion de ceux-ci adopte le français comme langue parlée à la maison, on constate que celle-ci a commencé à augmenter significativement dans les années 60, soit avant l'adoption de la Charte de la langue française. Après l'entrée en vigueur de la loi, le mouvement s'est beaucoup accéléré, mais le courant favorable au français était déjà en marche.

La santé du français au Québec ne dépend donc pas seulement de l'encadrement législatif. C'est ce que souligne une nouvelle étude publiée il y a quelques jours par l'Institut de recherche sur les politiques publiques. Les auteurs, Michel Pagé et Patricia Lamarre, du Centre d'études ethniques des universités montréalaises, proposent que pour amener les immigrants à adopter en plus grand nombre encore le français, les autorités publiques mettent en place des mesures visant à faciliter leur intégration à la société québécoise plutôt que des amendements à la loi 101. «Pendant que l'on réclame une loi plus "musclée" pour venir à la rescousse du français, on néglige de chercher d'autres secteurs où des politiques pourraient être adoptées avec profit, écrivent M. Pagé et Mme Lamarre. Ce serait une erreur que de miser trop exclusivement sur une intervention législative de l'État dans le champ linguistique. Il convient davantage de chercher les actions qui peuvent créer des conditions favorisant l'adoption du français comme langue préférée.» Parmi ces mesures, un soutien accru à l'apprentissage du français (l'offre de cours pour les adultes est encore déficiente) et des interventions visant à faciliter l'accès à l'emploi. Imposer aux PME qu'elles obtiennent un certificat de francisation, comme souhaite le faire le Parti québécois, ne donnera rien si les immigrants ont du mal à se trouver du travail. Il est évidemment beaucoup plus facile d'ajouter à la paperasse bureaucratique sous laquelle croulent les petites entreprises que d'agir sur des phénomènes délicats tel le racisme de certains employeurs.

Même chose pour l'idée d'interdire aux immigrants l'accès aux collèges anglais. Avant d'adopter une telle mesure, il faudrait à tout le moins savoir si celle-ci réglera un problème réel. Pagé et Lamarre font remarquer que depuis 2001, la proportion d'enfants allophones scolarisés en français au secondaire qui passent ensuite au cégep anglais est en baisse. De plus, «il n'y a encore aucune donnée scientifique qui peut étayer la thèse suivant laquelle les enfants d'immigrants qui poursuivent leur scolarité en anglais au collège et à l'université choisissent l'anglais comme langue préférée à l'âge adulte.»

Rien ne favorise davantage l'intégration à la société française du Québec que les contacts multiples, productifs et agréables avec des francophones. Or, à cet égard, les Québécois de la majorité devraient faire des efforts supplémentaires. Il faut se demander, notamment, si le débat actuel au sujet des accommodements raisonnables encourage les immigrants allophones à aller à la rencontre des francophones. En bloquant à des musulmanes d'origine afghane ou pakistanaise l'accès à la fonction publique parce qu'elles portent le voile, on exprime peut-être un message fort de laïcité mais, en même temps, on les exclut d'un lieu de travail où elles seraient en contact quotidien avec la majorité de langue française.

Dans leur étude, Michel Pagé et Patricia Lamarre notent que le comportement linguistique des allophones, en particulier des jeunes, est beaucoup plus complexe qu'on ne le croit. La plupart d'entre eux reconnaissent la prédominance du français et le parlent. Toutefois, il leur importe aussi d'apprendre l'anglais, perçu comme une langue essentielle pour la réussite professionnelle (les jeunes Québécois francophones n'en pensent-ils pas autant?). Et ils conservent leur langue maternelle. Pour eux, le multilinguisme est un atout à une époque de mondialisation alors qu'aux yeux de plusieurs francophones, ce multilinguisme témoigne plutôt d'une faible adhésion au français. «Il est intéressant de constater que si, de nos jours, nous acceptons sans trop de difficultés des "identités à trait d'union", telles que italo-canadienne ou anglo-montréalaise, il semble y avoir un blocage quand il s'agit de considérer l'identité linguistique comme hybride», déplorent les chercheurs.

Dans le domaine linguistique comme dans le religieux, les politiciens aiment offrir à la population des solutions dont la simplicité laisse croire à l'efficacité. Or, si les chartes et les lois sont essentielles, il ne faut surtout pas croire qu'elles régleront tout.