Nous publions aujourd'hui le deuxième éditorial portant sur la crise alimentaire mondiale.

Après plus de 20 ans de sous-investissement, les rizières et les champs des pays en développement donnent des rendements largement en deçà de leur potentiel. Combien de crises alimentaires nous faudra-t-il pour décider d'y investir?

La vie de la famille Luc, qui cultive deux hectares à la pioche en Haïti, est désespérante d'absurdité. Les difficultés que doit affronter la commerçante guinéenne Sily pour transporter sa marchandise aussi. Les scènes que dépeignent nos collègues Caroline Touzin et Michèle Ouimet dans leurs reportages d'hier sont monnaie courante dans le tiers-monde. Pourtant, l'agriculture des pays en développement a du potentiel.

 

Ce n'est pas pour rien que des fonds d'investissement et des sociétés étrangères achètent et louent d'immenses terres en Afrique et en Asie. Mais comme l'a souligné récemment la revue New Scientist, ce n'est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les régions ciblées. La société sud-coréenne Daewoo vient de signer un bail de 99 ans pour 1,3 million d'hectares à Madagascar. Le hic, signale le magazine, c'est que des habitants de l'île utilisent déjà ces champs comme pâturage. Où iront-ils? Si l'amélioration des cultures se fait au détriment des populations locales, on ne sera pas plus avancé.

Il vaudrait mieux que ces pays s'occupent eux-mêmes de leur agriculture. C'est ce qu'a fait le Ghana, avec des résultats convaincants. Grâce à une politique gouvernementale ciblée et à de la recherche agronomique soutenue par l'aide internationale, la production de maïs, de manioc, d'ignames et de plantain a augmenté de façon importante. Certaines régions demeurent vulnérables mais, en 20 ans, la proportion de la population sous-alimentée est passée de 64% à 12%.

Le calcul paraît évident. Hélas, cela fait plus d'un quart de siècle qu'on néglige l'agriculture des nations défavorisées. Au début des années 80, environ 17% de l'aide publique au développement allait au secteur agricole. En 2005, il n'en recevait plus que 4%.

Toutefois, on commence à sentir un retour du balancier. À l'automne 2007, déjà, la Banque mondiale soulignait l'urgence d'investir davantage dans l'agriculture des pays en développement. La crise alimentaire a renforcé cette prise de conscience. La cause, toutefois, est loin d'être gagnée.

Absorbés par leur propre crise financière, les pays donateurs risquent de se désintéresser des problèmes du tiers-monde. Ce serait une grave erreur.

Comme le résume très bien Daniel Gustafson, de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la sécurité alimentaire est vraiment un enjeu de sécurité: on pourrait difficilement oublier les émeutes du printemps dernier.

La prochaine flambée des prix, car il y en aura d'autres, risque d'entraîner une répétition de ces désordres. Et on serait naïf de croire que seuls les pays touchés en subiront les effets. Au contraire, il faut s'attendre à voir de nouvelles vagues de réfugiés économiques déferler sur les rives de l'Occident. En période de prospérité, on peinait déjà à les intégrer. La récession ne va pas améliorer les choses. Le monde n'a pas les moyens de se payer des crises alimentaires à répétition.





 

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