Comment cet obscur financier du West-Island a-t-il pu détourner des millions durant plus de 25 ans sans être inquiété? C'est ce que tout le monde se demande depuis que l'affaire a éclaté au grand jour, l'été dernier. L'interrogatoire d'Earl Jones, qui vient d'être rendu public, expose enfin les rouages de cette machine à pomper les clients. On est frappé de voir à quel point le mécanisme était rudimentaire.

«Il n'y avait pas de camouflage», a souligné l'avocat Jeffrey Boro lors du plaidoyer de culpabilité de son client, vendredi matin. Il n'aurait pas pu mieux résumer le système Earl Jones. S'il a fallu autant de temps pour démêler cet écheveau, ce n'est pas en raison d'une double comptabilité à la Norbourg. C'est surtout à cause des normes comptables très particulières de la Corporation Earl Jones. Une tenue de livres négligée (sloppy), de l'aveu même de l'accusé. C'est un euphémisme. En plus d'envoyer de faux relevés de compte affichant des intérêts fictifs de 8 à 15%, de déclarer ces prétendus rendements à l'impôt, de contracter des prêts au nom des clients à leurs insu et d'imiter leurs signatures à qui mieux-mieux, Earl Jones et ses employées faisaient d'innombrables paiements sans en noter le motif. À un point tel qu'on ne saura jamais les sommes exactes que le gestionnaire a prélevées dans son fameux compte en fidéicommis, censé protéger l'argent des clients. Il calculait au pif «sur un bout de papier», a-t-il admis lors de l'enquête du syndic de faillite RSM Richter.

Derrière ces condos de luxe, ces frais de scolarité et ces cartes de crédit payées à même le compte en fidéicommis, une seule logique comptable: ce qui est à toi est à moi. L'argent des investisseurs était englouti dans une sorte de magma servant aussi bien à financer le train de vie du propriétaire que les intérêts et les divers paiements versés aux clients.

C'est pourquoi il est difficile de croire que le pseudo-financier ait entretenu l'espoir de renflouer ses comptes. Un homme d'affaires sérieux qui constate que son entreprise prend l'eau n'agrandit pas la brèche à coup de dépenses somptuaires. Il modère ses sorties d'argent jusqu'à ce que la situation s'améliore.

Earl Jones n'a pas essayé de stopper sa machine infernale. Il a continué tant qu'elle a pu le porter. Elle a flanché à cause de ce vice de conception inhérent aux stratagèmes de Ponzi : un besoin insatiable de nouveau carburant.

Cette machine, pourtant, on aurait pu l'arrêter bien avant. N'importe quel expert qui se serait mis le nez dedans aurait trouvé que ça sentait mauvais. Ce n'est pas pour rien que le comptable de la compagnie n'a jamais vu le compte en fidéicommis. «Il n'aurait pas accepté ce qui se passait», a candidement reconnu Earl Jones.

L'accusé recevra sa sentence en février. Mais qu'arrivera-t-il du système réglementaire et bancaire qui lui a permis de se prétendre conseiller financier durant 25 ans, d'utiliser un compte en fidéicommis sans la surveillance d'un ordre professionnel et de faire accepter autant de fausses signatures? À défaut d'un procès, de sérieuses remises en question s'imposent.

 

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