Pendant que les Québécois se demandent s'il faut permettre aux médecins d'exercer à la fois au public et au privé, plusieurs d'entre eux profitent des zones grises de la loi pour le faire dès maintenant. Une pratique encore limitée, mais qui soulève de nombreuses questions.

Des spécialistes qui suspendent périodiquement leur participation à la Régie de l'assurance-maladie du Québec pour travailler à l'extérieur du système public. D'autres qui, en consultation à l'hôpital, proposent au patient d'obtenir son test diagnostic dans une clinique privée - un établissement dont ils sont actionnaires ou dans lequel ils feront passer le test eux-mêmes. Comme le démontre notre collègue Pascale Breton, la séparation entre le public et le privé est pas mal moins étanche qu'on le croit.

 

Soyons clairs. Nous ne considérons pas que le privé soit mauvais en soi. Ni que le public doive avoir le monopole des soins de santé. Nous n'en trouvons pas moins ce va-et-vient très dérangeant. Comment se fait-il que notre système de santé public, qui a toujours imputé une partie de ses manquements aux pénuries de spécialistes, ne soit pas capable d'utiliser davantage ceux qui travaillent pour lui? Quel gaspillage de ressources!

Nous ne sommes pas naïfs. Il est évident que plusieurs médecins trouvent leur compte à gagner une partie de leurs revenus au privé. Outre les avantages financiers, la pratique en clinique offre souvent un environnement de travail et un contact avec la clientèle plus agréables que l'hôpital. Pourtant, on peut penser que plusieurs d'entre eux n'iraient pas voir ailleurs si le public les occupait suffisamment. Comment se fait-il qu'un chirurgien orthopédiste doive aller au privé pour pouvoir opérer suffisamment, alors que les patients s'accumulent sur sa liste d'attente?

Les tests diagnostics posent un autre genre de problème. Plus personne ne s'étonne d'entendre son médecin lui dire que l'échographie requise s'obtiendrait plus rapidement au privé. Cependant, on ne se pose pas beaucoup de questions sur le fait que certains médecins tirent avantage, indirectement ou non, de ces tests effectués en dehors de l'hôpital. Cela les incite-t-il à commander des tests superflus? Nous n'avons jamais rien entendu de tel au Québec. On ne peut cependant pas ignorer le potentiel de conflits d'intérêts.

L'offre croissante de services au privé fait l'affaire des médecins qui la fournissent, et des patients qui peuvent se les payer. Mais c'est une fausse bonne affaire. Si de plus en plus de patients optent pour les raccourcis offerts au privé, il en restera de moins en moins pour dénoncer les délais intolérables du public. Quand on pense à tout ce qu'il a fallu de cris pour que Québec se décide à réduire un peu les listes d'attente, c'est très inquiétant. Si cette pression se relâche, le pire est à craindre. Le système public dont dépendent presque tous les médecins et les patients québécois risque fort de se détériorer.

 

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