Un des personnages dit: «Les gens en auront bientôt assez des martyrs. Ils voudront des héros...» En fait, les déserteurs québécois qui refusaient d'être conscrits pour aller se battre en Europe, en 1944, n'étaient ni l'un ni l'autre. Pour la plupart, sans doute, ils étaient d'abord de pauvres bougres ne sachant pas très bien ce qui se passait là-bas. Quelques-uns furent néanmoins sacrifiés, dont celui que nous verrons. Et ils furent ceux que l'Histoire, par pudeur, par gêne devant un refus de combattre difficile à classer, a préféré oublier.

Le film Le Déserteur, en salle depuis deux jours, traite du sujet. C'est le premier long métrage du jeune Simon Lavoie. Celui-ci livre une oeuvre très classique, aux images extraordinairement belles et éloquentes, suffisamment accrocheuse pour plaire à un large public sans souffrir de perte de sens.

 

Par l'effet du hasard, Le Déserteur débarque une semaine après La Bataille de Passchendaele, du Canadien Paul Gross, dont la trame évoque un des affrontements majeurs de l'autre grand conflit, la Première Guerre mondiale. Cette bataille, en Flandre, fut une boucherie qui fit beaucoup de martyrs et beaucoup de héros, que le film Passchendaele célèbre.

Cela dit probablement quelque chose sur la vision de la guerre que l'on a de part et d'autre de la rivière des Outaouais.

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Dans les faits, il y eut peu de déserteurs au Québec pendant la Seconde Guerre mondiale. On parle parfois de 4000 ou même de 10 000, mais le chiffre officiel est de 2400. Et il faut penser au contexte: lors du référendum du 27 avril 1942, les trois quarts des Québécois votèrent contre la conscription, alors que le ROC, le rest of Canada, se prononça aux trois quarts en sa faveur. Bref, au Québec, l'enthousiasme n'y était pas.

Le film de Lavoie raconte donc l'histoire d'un de ces déserteurs, Georges Guénette, qui a vraiment vécu près de Québec. Découvert en mai 1944 à l'orée du bois où il se cachait, il fut abattu par la police fédérale.

Cela étant, le réalisateur aurait facilement pu céder à la tentation de faire de son film un nouveau pamphlet manichéen plein de bons sentiments bien nets et bien tranchés. Or, sans occulter cet angle, il ne s'y noie pas non plus. En mettant de côté la garniture dramatique qui agrémente l'oeuvre, ce qui est dépeint est une situation dont la dominante, en effet, n'est pas d'abord un affrontement à saveur nationaliste.

Le thème est plutôt celui d'une condition prolétaire de misère et de survie, d'ignorance des affaires du monde et de résistance têtue à ce qui est perçu comme une injustice. Les déserteurs décrits n'étaient ni des lâches ni des sympathisants fascistes, deux accusations que l'on a souvent portées contre eux. En réalité, les Québécois francophones donnèrent près de 90 000 volontaires à l'Armée canadienne (autant chez les francophones du ROC), formant près de 20% des forces combattantes. Et on loucha vers les chemises brunes bien davantage chez les élites intellectuelles de Montréal et de Québec que chez les pauvres gens du fond des campagnes.

Simon Lavoie a visiblement beaucoup d'affection pour ces derniers. Et cela seul suffit à rendre Le Déserteur sympathique.